Autrefois, les nuages de poussière qui se répandaient dans les rues ou sur les places était une véritable calamité dès que le temps restait sec plusieurs jours. La ligue contre la poussière fondée en 1904 par le docteur Ernest Guglielminetti (surnommé docteur Goudron), milite activement pour influencer les pouvoirs publics dans la recherche de solutions durables destinées à préserver la santé de la population.
C’est ainsi qu’en juin 1902, le bulletin officiel de la ville de Paris fait état des efforts des élus et services techniques pour lutter contre la poussière des rues. Deux méthodes semblent donner de meilleurs résultats dont le système américain : arroser deux ou trois fois par an les chaussées avec de l’huile lourde de pétrole ou avec du pétrole chaud dont la viscosité abat la poussière et la fixe rendant le sol moins friable et plus facile à entretenir.
En juin 1904, la revue générale des industries françaises et étrangères met en avant l’arrosage des routes à la westrumite*. On entrevoit alors l’époque plus ou moins lointaine où le fléau de la poussière semblera le souvenir d’un mauvais rêve.
En 1908, le 1er congrès international de la route traite la question primordiale de la lutte contre la poussière par le goudronnage.
Moulins n’échappe pas aux désagréments de l’air rendu irrespirable. Il suffit de parcourir la presse locale pour s’en convaincre.
La poussière gâche en partie la fête de Pâques à Yzeure en avril 1893. « Maudite poussière qui vous envahit le nez, la bouche et les yeux et vous recouvre de gris ». Les participants s’attendaient à ce que des mètres cubes d’eau soient répandus préventivement pour atténuer les effets, ce qui ne fut pas le cas.
Un mois après, les habitants de la rue des Grèves souhaitent que la voirie ouvre plus souvent la bouche d’eau de leur rue. Ils se plaignent de suffoquer littéralement sous la poussière dégagée au passage des enfants des écoles et des voitures sur la chaussée non empierrée.
Les années passent et le problème demeure entier. En juillet 1900, des riverains de la rue de Paris entre la rue des Remparts et la rue Gaspard-Roux font la même demande afin de pouvoir arroser la chaussée qui disparaît sous l’épaisse couche de poussière accumulée pendant la construction de l’égout du cours de Bercy.
En juillet 1904, on parle d’un mal social aggravé par le développement de l’automobilisme. Les hygiénistes considèrent que la poussière représente un danger sérieux pour les poumons. La chaleur assèche trop vite l’avenue de la Gare pourtant arrosée. Un journaliste moulinois engage même les habitants à la goudronner à leurs frais après autorisation municipale et, pendant qu’ils y seront, à goudronner la cour de la gare si le P.L.M. donne son accord.
En septembre, le Courrier de l’Allier aborde les essais réussis de goudronnage des routes dans quelques villes dont Montluçon et sur le pont Régemortes. Un lecteur y va de sa lettre pour suggérer de traiter l’avenue de la Gare dont la chaussée a été refaite, préalable pour une bonne prise du nouveau revêtement. Puis, conclut-il, il faudrait continuer sur les principales avenues qui sont par temps sec remplies d’une poussière aveuglante soulevée par le vent et par les véhicules de toutes sortes, surtout les automobiles. La rédaction du journal approuve en insistant sur les flots continuels de jour et de nuit de poussière avenue de la Gare. Il donne en exemple la route de Meaux à Trilport où on a employé un nouveau produit d’un prix peu élevé « La Rapidité »**. Une seule couche abat la poussière pendant deux ou trois jours et quatre couches produisent une vitrification qui réfectionne la route et peut résister trois mois.
Le temps passe et n’améliore en rien la situation puisqu’en décembre 1905, la place de la République (jardin de la gare) est toujours polluée par la poussière. Le docteur Méplain affirme que « la place de la Gare est devenue un des centres les plus malsains de Moulins par suite des quantités effroyables de poussière dont son atmosphère est contaminée l’été ». Un seul remède : le goudronnage des chaussées.
En mars suivant, Le Courrier de l’Allier déplore encore que Moulins ne vive que dans la boue ou la poussière malgré les efforts louables de la municipalité.
Au conseil municipal du mois de mai 1907, le problème est à nouveau en discussion. Les habitants de la rue de Lyon proposent de fournir les tuyaux et les chariots nécessaires à l’arrosage de la chaussée si la municipalité accepte de mettre quelqu’un à leur disposition pour s’en charger. M. Diot, l’un des conseillers, appuie cette demande qui est approuvée par ses collègues.
Deux ans plus tard, le conseil municipal du 2 juillet 1909 est saisi d’une demande de M. Poirier, 5 rue de Lyon où la nuisance est toujours très forte. Il se fait le porte-parole des autres riverains qui doivent tenir leurs fenêtres fermées en raison de la poussière considérable soulevée par le passage des véhicules. Les élus ne donnent pas suite pour ne pas créer de précédent… et ajoutent qu’il existe deux bornes-fontaines dans cette rue utilisables pour un arrosage comme cela se fait ailleurs en ville.
Le chemin sera encore long avant la disparition de ce problème majeur.
Louis Delallier
*Goudron d'huile minérale et végétale, rendu soluble dans l'eau par la saponification ammoniacale. Il suffirait de quelques arrosages avec de l'eau westrumitée à 10 pour 100 pour empêcher la formation de la poussière. (Bulletin de l'Académie nationale de médecine, Éd. Masson, 1905)
** 90 francs le km pour une route de 7 mètres de large. Avec les autres procédés, une couche coûte de 300 à 350 francs.