Alphonse Legros, estampe, 1861 (Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie)
Après Joseph Brunin (José), Antoine Coulon (Boquillon), Jean Branlant, Louis Martiniaux, P’tit Bikir, Stanislas Tannay (Phénomène) et son copain Guillermet (Tape-à-l’œil), Louis Fassier, crieur de journaux, ou encore Eugène Fudez qui ont animé nos rues, chacun à sa façon* et parfois en marge de la loi, voici quatre personnages supplémentaires, tout aussi hauts en couleurs.
Nicolas Riondet a vécu quelque temps à Avermes avec sa femme Marie qui, un jour, a préféré le quitter. Alors, il met à profit sa très très petite taille et commence à mendier dans les rues moulinoises. On dit de lui que c’est un bon diable qui prend les choses comme elles viennent et qui apprécie que les « petits ronds » tombe dans son chapeau. Un jour de la fin novembre 1891, il croise, dans la cour de la gare, un tout petit homme comme lui, vêtu de la même manière. Cette rencontre le laisse coi, assez longtemps pour ne pas pouvoir échanger un seul mot avant de voir son quasi-sosie s’embarquer dans le train pour Diou. Nicolas meurt le 14 février 1896 à l’hôpital Saint-Joseph, à l’âge, respectable à cette époque, de 76 ans.
Un autre personnage lui ressemble à Moulins. C’est le nain Colas, presque un homonyme, la soixantaine, qui vit également d’aumône. Sa barbe et ses cheveux roux, son sourire charmant, sa façon de battre la mesure avec sa longue canne quand il chante dans la rue d’Allier en font un concurrent sérieux. Un soir de janvier 1889, ce dernier se retrouve à Montilly près du château de Toury, à dix km de Moulins. Trop fatigué pour continuer son chemin, il frappe chez Claude Denizon dans l’espoir d’obtenir un abri pour la nuit. Le fermier, apitoyé, l’héberge jusqu’au lendemain matin. Il attelle alors la voiture à âne d’un voisin pour prendre la direction du bureau de police moulinois où il demande qu’on prenne en charge son passager très fiévreux. Là, il connaît un refus inattendu et pas charitable. On ne s’occupe pas des malades de Montilly. La question est à voir avec le maire de la commune. Claude Denizon ne parvient pas à faire entendre raison au brigadier qui lui explique même que sa responsabilité sera engagée s’il arrive quelque chose à Colas**. Il ne lui reste plus qu’à se débrouiller. L’histoire ne dit pas comment il s’y est pris.
Une femme fait partie de cette galerie pittoresque, la mère Chopin, originaire de Montbeugny domiciliée rue du Champgrenier à Moulins. Son passage dans les rues deux fois par semaine et pendant au moins 50 ans, poussant sa brouette remplie de balais de genêts en fait une figure familière. On ne peut la manquer car elle accompagne ses déplacements d’un sonore « Allons, des balais d’oïtttt ! ». A un curieux qui s’enquiert du sens de ce cri tout à fait personnel, elle se contente de répondre « Té, mon bon monsieur, c’est un cri à moi. Ne m’en demandez pas davantage ». Son décès, chez elle, le 20 novembre 1895 à 77 ans est déclaré par ses gendres, Sébastien Sève, 49 ans, maçon, et Eloi Retat, menuisier, 51 ans. Estimée de tous, elle était veuve de Claude Guerre, puis de Michel Chopin.
Gilbert Bourdier, dit Béquillard, est infirme comme son surnom l’indique et fait la manche pour survivre. Il ne passe pas inaperçu en ville avec son chapeau melon cabossé et pas franchement propre, sa blouse bleue usée et ses gros sabots. Il prend ses quartiers devant l’hôtel de Paris où il s’assoit sur une des bornes des heures durant sans crainte de la chaleur ni du froid. Il bénéficie ainsi des allées et venues des clients et des passants. Il se déplace seulement quand les fidèles sortent de la cathédrale à moins de 200 mètres. Beaucoup sont prêts à faire un geste pour lui. Son activité marche plutôt bien car il sait complimenter et demander des nouvelles. Veuf de Françoise Tison depuis avril 1900, il finit ses jours place de l’Eperon à 75 ans des suites d’une congestion pulmonaire.
Léon Pourrad à la longue barbe est colporteur de journaux. Homme cultivé, philosophe à ses heures, ancien patron d’une maison de commerce, il chantonne du matin au soir dans les rues. L’alcool, son mauvais génie, en fait la cible des gamins qui le tourmentent. Veuf d’Agnès Bellot, il meurt le 16 février 1908, dans le taudis qui lui sert de logement rue du Brave (acteulle rue François-et-Marie-Mercier).
Louis Delallier
*Tous ont été le sujet d’un article.
**A rapprocher de la mésaventure de Jean Masseret publiée ici sous le titre La pénible journée de Jean Masseret et du chemineau