Dans le cadre de leur fête à Vichy le dimanche 13 août 1899, les sourds-muets du Centre organisent une course cycliste de 50 km au départ de Moulins à 9 heures. René Desperriers, président du club cycliste de sourds-muets de Paris, en est le grand superviseur. Engagement 1 franc et brassard-souvenir en guise de récompense.
Deux rendez-vous sont donnés aux inscrits au café de Paris, place d’Allier, la veille à 20 heures et le matin avant 9 heures, et un à la gare de Vichy pour les sourds-muets souhaitant assister à l’arrivée au café du square à Cusset. Messieurs Paul de Laroche (de Dornes dans la Nièvre) et Desperriers seront leurs guides.
Quatorze vaillants compétiteurs* s’élancent sur la route au signal donné par C. Bergerolles, secrétaire de l’Union vélocipédique de Moulins. Ils sont accompagnés d’Henri Mercier d’Épernay, entraîneur à motocyclette, et contrôlés à Varennes par Louis Besancenot, architecte.
La presse ne donne pas le résultat de l’épreuve. Elle ne mentionne que le banquet fédéral à 17 heures à l’hôtel du Globe de Cusset sous la présidence de Henri Desmarest de Paris. Soixante-dix personnes y avaient souscrit pour 5 francs.
A cette époque, un journal des sourds-muets paraît alors à Paris le 5 et le 20 de chaque mois. Il publie des vers et des nouvelles qualifiées de mélancoliques par le Vélo du 21 septembre 1897. Le Vélo fait état des cyclistes sourds et muets plus nombreux qu’on ne le croit et capables d’établir des records. Certains sont même membres de l’UVF (Union vélocipédique de France). Sont rapportés la réalisation du tour de l’Europe presque complet par Jaroslav Barte en 1896 et le pari audacieux de G. G. Sutherland Ryaards, journaliste au Floralin, journal d’horticulture hollandais et polyglotte (en plus de sa langue maternelle, il maîtrise l’allemand, le français et l’anglais !). Parti d’Amsterdam le 14 août 1897, il compte bien parcourir l’Europe : Hanovre, Hambourg, Berlin, Varsovie, Saint-Pétersbourg, Turquie, Roumanie, Bulgarie, Espagne, etc. Pour compliquer l’exploit, il n’emporte pas d’argent et assure qu’il reviendra le porte-monnaie plein.
En toile de fond, il y a le militantisme sourd pour une vraie inclusion sociale. Les éléments fondateurs du mouvement sont la solidarité, l’égalité et l’humanité. En 1838, la création de l’Ami des sourds-muets, journal de leurs parents et de leurs instituteurs, est la première tentative sérieuse d’information et de défense à leur intention. Les décennies suivantes font surgir des différends profonds sur les méthodes à employer dont la « démutistaion » « réservée » aux élèves intelligents et très travailleurs. Pendant ce temps, les sourds-muets s’adaptent comme ils le peuvent et subissent. Dans le domaine cycliste par exemple, on les tient souvent pour responsables des accidents qui leur arrivent. En mars 1902, M. Jialat, imprimeur parisien, perd un œil dans un choc avec une voiture à cheval conduite par un cocher qui ne se souciait pas le moins du monde des cyclistes. Les juges, quand ils ont connaissance du handicap du plaignant, ne lui octroient que 1 000 francs de dommages et intérêts au lieu des 10 000 demandés : « On ne fait pas de bicyclette quand on est sourd-muet ».
La course effectuée par nos cyclistes du Centre en était donc d’autant plus audacieuse.
Louis Delallier
*De Paris, messieurs Darnet, Hirsch, Pilon, Cauchois, Chéron, Guiraudon, Hamar, Larose et Vasseur. De Clermont-Ferrand, Segondat et Renaix. De Billom, Imbert. De Chavroches, Forestier. Un seul moulinois, Auguste Develay, chargé des adhésions.