Antoine B. n’est pas le premier venu dans le domaine de la délinquance. Il a déjà un passé bien chargé quand il cambriole le bureau des assurances sociales de Montluçon au début du mois de novembre 1932. Avec 3 complices, il transporte le coffre-fort de 475 kg avec une remorque. L’un des hommes, interpellé sur les quais du Cher, dénonce tout le monde. Début décembre, resté à Montluçon, Antoine y est blessé à l’omoplate par un policier au moment de son arrestation après avoir le premier fait usage d’une arme. Cela lui vaut une condamnation le 4 juillet 1933 par la cour d’assises de l’Allier à 10 ans de réclusion et à la relégation. Il est emprisonné à Moulins pour commencer.
Mais ce n’est pas un enfermement de plus qui va lui couper les ailes. Le mardi 22 août, son absence est remarquée vers 18h 30. Il s’agit bel et bien d’une évasion. Et très vite, on comprend le déroulement des faits. Antoine a mis à profit son travail dans l’atelier carcéral avec une dizaine d’autres détenus pour scier et desceller l’un des gros barreaux de fer d’une fenêtre. Il réussit, de plus, à passer les deux grillages de chaque côté de la fenêtre avant de se laisser choir d’une hauteur de près de 8 mètres dans la descente du château. Les codétenus affirment n’avoir rien vu car ils faisaient la sieste !
L’alerte est donnée sans attendre. Rondes en ville et barrages sur les routes sont mis en place. La description de l’évadé est diffusée : veston noir, pantalon marron à rayures noires, chapeau noir avec ruban jaune, souliers et bas jaunes. Ce sont ses vêtements civils car il bénéfice du régime des prévenus dont le pourvoi en cassation est en cours.
Il est recherché toute la nuit par les policiers de Moulins et de Montluçon aux alentours des gares et y compris du domicile de ses parents à Montluçon. Comme un vol de 1 500 francs est commis le lendemain après-midi, mercredi, chez Madame Chalmin au hameau de Malvat à Rocles, on le soupçonne. L’auteur serait un homme de 25 à 30 ans mal rasé, de taille moyenne qu’on a vu rôder et qui aurait pris à la gare de Chavenon un billet pour Chamblet-Néris.
L’adjudant de gendarmerie Léger de Moulins transmet le jour même des renseignements par téléphone à Romans et Valence pensant qu’Antoine pourrait bien chercher asile dans la Drôme compte tenu de son « historique ».
Le 1er septembre, les évènements se précipitent.
Un peu avant 15 heures, Camille Saffrey, 33 ans, sous-brigadier de police à Romans, en congé, arrive de Montélimar place Aristide-Briand à Valence. Voyageant dans le même autobus, Antoine est en train de lire un journal policier. Les deux hommes se connaissent bien. En effet, l’un a arrêté l’autre à plusieurs reprises. Le Bourbonnais tente de fuir encore, mais il est immédiatement rattrapé. Conduit au commissariat par le sous-brigadier aidé par un collègue valentinois, le brigadier Cardinal, il crie à l’erreur sur la personne. Il est confondu par une photo et avoue : « Eh bien oui ! c’est moi B[…], l’évadé de la maison d’arrêt de Moulins ».
Il ne se montre pas avare de détails sur son escapade. Evadé sans complicité, il est monté dans un train de marchandises d’où il est descendu à Roanne. Il y est resté deux jours avec nuit dans les champs avant de reprendre un train de marchandises pour Valence. Arrivé la veille de son arrestation, il comptait rejoindre Marseille pour s’embarquer vers l’étranger.
Une deuxième cigarette, et il explique que le pistolet automatique calibre 6mm 35 et son chargeur garni de 5 cartouches, le fascicule de mobilisation au nom de Claude Planchon camionneur à Saint-Étienne et la carte postale à Marius Planché en sa possession étaient cachés près de Moulins. Les 272,50 francs trouvés dans sa poche lui viennent de camarades !
Il profite de son procès devant la cour d’assises de la Drôme pour révéler quelques méfaits dans la région. En juillet et août 1932, il a, peut-on dire, organisé sa petite entreprise, sans avoir de domicile fixe. Il devient camelot sur les marchés de Montélimar, Saint-Vallier, Livron, Tournon, et autres villages des environs. Il évite soigneusement celui de Valence car c’est à la gare de cette ville qu’il s’approvisionne en colis, pas moins d’une centaine, de bonneterie, mercerie, soierie, chaussures d’une valeur de 50 000 francs. Il va sans dire qu’il n’a pas passé commande… Parmi ses trouvailles, quatre de combinaisons et de parures de femme de la maison Valisère de Grenoble valant 10 000 francs au bas mot.
Fin août-début septembre, il cambriole seul et nuitamment une scierie à Romans. Il se contente d’ouvrir le coffre-fort avec la clef trouvée dans un tiroir. Il repart avec 2 à 300 francs de billets et monnaie, un taximètre avec chaîne en argent, une paire de lunettes et des papiers dont un permis de conduire.
En novembre, il commet une effraction dans une usine près de la gare d’Auxerre et met la main sur 4 300 francs.
Ses aveux spontanés sont vérifiés par téléphone et confirmés. Il est condamné en janvier 1934 à 10 années de réclusion. Il aimerait autant partir tout de suite pour le bagne de Cayenne d’où, en son for intérieur, il espère pouvoir s’évader. « Au bagne, un homme est un homme » disaient des forçats évadés « tandis que dans une maison centrale il n’est plus qu’un prisonnier »
Son histoire avec la délinquance a commencé dès avril 1917 à Montluçon où il est né le 29 juin 1900. Un vol et une contravention à la police des chemins de fer lui rapportent six mois de prison avec sursis et 25 francs d’amende. Six mois de prison ferme en mai 1918 pour vol à Montluçon et 1 an en septembre 1919, 5 ans assortis de 10 ans d’interdiction de séjour en juillet 1927 (il est alors peintre en bâtiment) sont le prolongement ordinaire de vols ordinaires. C’est à la maison centrale de Clairvaux qu’il purge sa peine. Le coffre-fort montluçonnais se trouvera sur son chemin juste après sa sortie !
Août 1935, l’Indre et le Cher reçoivent sa visite. Décembre 1949, à peine libéré pour bonne conduite, il s’oriente vers le musée du Berry à Bourges où les bijoux conservés sont trop tentants. Avec un complice, il a écumé le mois précédent les gares de Châteauroux, Issoudun et Gien.
De fil en aiguille, de délits en délits et de prison en prison, il semble avoir échappé au bagne malgré sa volonté d’y goûter. La vie aura aussi été longue (et moins agitée ?) pour lui qui décède en mai 1988 en Seine-Maritime à Barentin.
Louis Delalier