« Nous crions grâce ! depuis deux jours Moulins est devenu un vrai Sénégal. »
On cuit dans les rues, on ose à peine s’y déplacer. Les boueurs eux-mêmes, pourtant familiers de températures pénibles qu’elles soient estivales ou hivernales, ne travaillent plus. La municipalité les remplace par des ouvriers du Petit Génie* (seraient-ils plus résistants ?), mais en nombre insuffisant pour tenir les rues propres, ce qui accroit l’incommodité des rares passants. L’eau de certains ruisseaux de la ville croupit et dégage une odeur pestilentielle. Pour maintenir un bon niveau d’hygiène, les habitants demandent que le service de la voirie fasse couler de l’eau matin et soir et que les riverains soient contraints de nettoyer leur caniveau. La température ambiante n’est pas précisée.
Peu après, la nature se charge de résoudre le problème avec perte et fracas. Le samedi 13 juillet au matin, des orages s’abattent un peu partout dans le Bourbonnais. Si Moulins et ses environs s’en sortent plutôt bien, les dégâts sont considérables à Dompierre, Saligny, Saint-Pourçain-sur-Besbre, Diou, Monétay où des grêlons d’une grosseur encore inconnue des paysans ont saccagé blé, avoine et pommes de terre.
La foudre a tué des hommes comme à Creuzier-le-Vieux où Claude Druel, 27 ans, cultivateur, jeune marié, est foudroyé avec l’arbre sous lequel il s’était réfugié, le panier de son déjeuner encore à la main, et au village de Bazergues près de Commentry, où Jules Mansat, 15 ans, subit le même sort dramatique.
La foudre a tué des animaux piégés de la même façon sous des arbres : un bœuf et une vache à Meillard chez Félix Vérillaud et son métayer Darmangeat, une génisse appartenant à M. Barichard, métayer aux Chaussards à Marigny, trois vaches et un taureau chez François Diot, métayer au domaine des Marcauds à Beaune.
A Jaligny, Cindré, Tréteau, c’est la consternation. On n’a jamais vu ça ! les céréales, la vigne, les pommes de terre sont presque totalement ravagées par la grêle.
A Saint-Voir, Gouise, Saint-Gérand-de-Vaux, à Varennes, Boucé, Montoldre, Créchy, Bayet, la grêle, toujours elle, a détruit les récoltes de froment, de seigle, d’orge, d’avoine et de betteraves.
A Saint-Loup, sont particulièrement touchées les fermes des Chambolles, des Bourses, des Badets, des Baragots et des Matras où les Drut et leurs deux enfants ont été grièvement blessés par les grêlons. Des chênes de plus d’un mètre de diamètre ont été déracinés et projetés dans les champs. Sur plus de 100 domaines affectés, seuls trois sont assurés. A Chavenon, 5 tonnes de paille partent en fumée dans l’incendie de la grange de Georges Camus et de son métayer Jean-Baptiste David.
Des rapports sont envoyés aux ministres de l’intérieur et de l’agriculture qu’on n’imagine pas pouvoir rester de marbre face au désarroi des agriculteurs...
Et ces derniers n’ont pas fini de se désespérer car le 28 juillet la presse signale que le vent, la pluie, le froid font pourrir les carottes, oignons et pommes de terre qui ont résisté aux intempéries précédentes. De plus, les fruits à pépins se font rares et le raisin pourrait ne pas mûrir.
Louis Delallier
*La ville de Moulins a mis en place un service dirigé par Jean-Louis Gannat, architecte-voyer municipal. Il s’agit d’ateliers communaux de charité, d’assistance par le travail destinés à venir en aide à ceux que la mauvaise saison oblige à un chômage souvent durable. Une délibération du conseil départemental du Puy-de-Dôme de 1893 mentionne, comme une référence, le « petit génie » moulinois qui permet de lutter contre le vagabondage et la mendicité en employant à nettoyer la ville tout vagabond qui se présente.