Robert Nicolas et Georges Giraud ont 14 ans et sont Moulinois. L’un est facteur au télégraphe et l’autre tailleur de pierres. Les deux amis habitent les rues Cluzel et Delvaux qui se rejoignent à angle droit et sont situées entre la rue de Paris et l’allée des Gâteaux (Avenue du Général-de-Gaulle actuelle). On peut imaginer qu’ils se voient souvent et ont le loisir de bâtir des plans sur la comète.
En effet, un dimanche de juillet 1925, le 19 précisément, ils disparaissent et, jusqu’au 27, laissent sans nouvelles leurs familles dans le tourment. Le signalement de Robert, paru dans la presse moulinoise : « teint mat, cheveux et yeux noirs, taches de rousseur, coiffé d’un béret bleu, veston gris, pantalon de toile jaune, brodequins de travail », ne sera d’aucune utilité car les garçons ont déjà parcouru une longue distance. Enfin, Robert envoie une lettre rassurante à son grand-père pour annoncer qu’il se trouve à Saint-Nazaire avec Georges. Tous les deux travailleraient parmi les ouvriers du port.
L’inquiétude ne retombe pas vraiment rue Delvaux et rue Cluzel. Comment ces deux garnements vont-ils s’en sortir ? Que doit-on faire ? La réponse vient d’elle-même dans un télégramme de la gendarmerie d’Argenton-sur-Creuse (Indre) adressé au grand-père Nicolas dans les premiers jours d’août. Robert et Georges, faute de ressources, ont repris le chemin de Moulins par le même moyen qu’à l’aller : la bicyclette de Robert. C’est entre Argenton et Bouesse qu’ils sont remarqués par un cultivateur passant en voiture. L’homme, ému par ces deux enfants épuisés qui se reposent sur le bord de la route, les prend en charge et les conduit chez les gendarmes.
Pierre Nicolas les ramène lui-même à Moulins. Leur touchante histoire s’avère être d’une grande simplicité. Ils voulaient voir la mer !
Avec leurs 400 francs d’économies au total, ils ont commencé par prendre le train jusqu’à Montluçon avant de franchir les 450 km restants par étapes, chacun à son tour pédalant et portant son compagnon sur le cadre du vélo. Ce moyen de transport pénible et peu rapide leur a néanmoins permis d’atteindre Saint-Nazaire le 25. Au prix de quels efforts ! Leur rêve enfin réalisé, il ne leur a fallu que deux jours pour choisir de regagner les bords de l’Allier.
L’indulgence aura-t-elle accompagné leur retour d’une escapade qui a dû occuper leurs conversations tout autant après qu’avant ? L’histoire ne le révèle pas.
En 1921 et 1926, Georges Giraud, né dans le Rhône, vit aussi avec son grand-père. Même si les renseignements diffèrent un peu d’un recensement à l’autre, il s’agit de Victor Parot, ancien maçon. Sous le même toit, habite Élisabeth Parot qui serait la grand-tante de Georges.
Quant à Robert Nicolas, il est hébergé par Pierre Nicolas, retraité de l’octroi de Moulins, et son épouse Gabrielle. Il est pupille de la Nation depuis le décès de son père Jean-Baptiste, commerçant en chaussures, à l’âge de 34 ans, au camp de Niederzwehren à Kassel en Allemagne, le 11 avril 1915. Robert (né en 1911 à Vichy) se mariera en avril 1934 à Avermes où il décède en avril 1968. Il prénommera son fils Jean-Baptiste.
Louis Delallier