Le Radical de l’Allier du 7 septembre 1907 publie un long témoignage d’Alexandre Bécanier, rue des Six-Frères à Moulins. Cet homme de 59 ans s’exprime ainsi :
Voilà de longues années que je souffrais de violents maux de reins ; j’avais essayé différents produits qui m’avaient été conseillés et qui furent du reste sans efficacité, quand j’entendis dire que les pilules Foster pour les reins réussissaient très bien dans ce cas. Je ne pouvais faire aucun mouvement sans ressentir aussitôt des tiraillements très douloureux dans les reins, jusque dans les côtes ; mes urines rouges laissaient un dépôt moitié sable, moitié petit gravier. […]
J’avais quelquefois aussi des vertiges, des éblouissements, lorsque je commençai à me traiter moi-même avec les pilules Foster pour les reins vendues à la Pharmacie Normale, A. Débordes, rue Gambetta, Moulins. L’amélioration ne se fit pas attendre ; aussi je persévérai avec confiance et en moins de deux mois mes douleurs étaient bien disparues. Je puis vous assurer aujourd’hui que je suis plus ingambe et que je me porte tout à fait bien. Je certifie exact ce qui précède et vous autorise à le publier.
Il n’est pas le premier à reconnaître que sa vie a changé radicalement grâce à l’efficacité des pilules Foster*, un véritable bienfait pour l’humanité que personne ne devrait ignorer. Son attestation de la véracité de ses propos est un gage supplémentaire, s’il en est, du sérieux scientifique du fabricant.
Malheureusement, Alexandre Bécanier doit bien être la seule personne à mourir avant la parution d’une si belle démonstration de sa « résurrection ». En effet, il s’éteint chez lui le dimanche 11 août, soit presque un mois avant, bel et bien de maladie et pas des suites d’un accident. Les publicités Foster continueront au moins jusqu’en 1940 à répandre l’espoir auprès des populations les plus exposées aux soucis de santé par leur travail et les plus sensibles aux arguments illusoires d’une guérison assurée.
Alexandre Bécanier fait pourtant partie d’une catégorie sociale favorisée, suffisamment avertie pour déjouer les pièges des mots et des apparences. Mais peut-être ne savait-il plus alors vers qui, vers quoi, se tourner pour apaiser ses souffrances.
Originaire de Colombier en Côte-d’Or, licencié ès-lettres, il commence sa carrière en qualité de maître d’études au collège de Salins dans le Jura en avril 1867. Il a seulement 19 ans. Il enchaîne les postes de professeur à Poligny (Jura), Baume-les-Dames (Doubs) où il passe des classes de seconde et troisième à la classe de rhétorique et de l’enseignement de l’histoire. Après les collèges de Dole (Jura) et de Gray (Haute-Saône), il est nommé en 1883 au lycée de Moulins auprès des élèves de sixième.
En mai 1886, il endosse la responsabilité de la bibliothèque municipale en remplacement de Georges Grassoreille (archiviste-paléographe de formation, archiviste du département de l’Allier, parti aux archives du département de la Seine).
En juin 1891, il termine, avec l’aide de G. Chérion, sous-bibliothécaire, le catalogage des quelque 28 500 ouvrages du riche fonds municipal provenant de dons et legs divers dont ceux de l’abbaye de Souvigny, de magistrats, d’avocats et du docteur Louis Laussedat. Le résultat de quatre ans et demi d’un travail rigoureux comprend quatre volumes toujours conservés à Moulins.
Alexandre Bécanier, titulaire des Palmes académiques depuis 1891, se retire officiellement de l’enseignement le 1er mai 1898 et devient secrétaire de la Chambre de commerce de Moulins où il reste employé jusqu’à sa mort.
Parallèlement à sa vie professionnelle, il donne de nombreuses et savantes conférences unanimement appréciées devant des publics variés (anciens élèves de l’école de la rue Louis-Blanc, à l’école de la Madeleine, au gymnase municipal du boulevard de Courtais pour la Société de la bibliothèque populaire républicaine dont il était membre du comité, à la société de patronage de l’enseignement laïque de Lurcy-Lévis, etc. (cf. bibliographie non exhaustive en fin d’article)).
Il était aussi poète, lauréat du legs Robichon en 1893 (voir mon article à ce sujet) et ami de Lucien Brun (voir mon article à son sujet) dont il a préfacé le livre de cinquante-neuf poésies « Le long de la route ». Il fait partie des 147 souscripteurs qui ont tenu à aider un Lucien Brun devenu l’ombre de lui-même.
Ses obsèques civiles (il était adhérent à la Libre-pensée) ont lieu à Moulins le lundi 12 août 1907. Célibataire, il est entouré d’une foule d’amis dont des proches tels MM Dupré, adjoint au maire, Nodière, économe des hospices, Renard, secrétaire en chef de la mairie, Dizard, professeur d’anglais au lycée de Moulins et Louis Billaud, président de la Société de la bibliothèque populaire républicaine.
M. Dizard, dans son discours au cimetière, rappelle la bonté et la tolérance de l’homme, le charme de la société de l’ami, le zèle et le dévouement du professeur pour ses élèves qui l’ont amené à une retraite prématurée et peut-être à un décès prématuré. Il leur inculquait l’amour de la patrie et le respect du drapeau tricolore. Il était dévoué aux « institutions républicaines seules dignes d’un peuple libre, parvenu à sa maturité » selon ses propres termes. Il se réclamait de Voltaire et de Victor Hugo dont il avait la tolérance du premier et l’idéalisme du second. Il professait les idées de justice et de solidarité jointes à la religion de la conscience.
Louis Billaud brosse un portrait tout aussi louangeur d’un homme à l’esprit cultivé, aux brillantes facultés qui a rendu de nombreux services à la démocratie. Cet homme ne croyait à aucune religion, mais avait une véritable vénération pour le Christ qu’il considérait comme le véritable apôtre de l’humanité avec de la bienveillance pour tous les hommes.
Il conclut d’un déchirant : Bécanier, adieu pour la dernière fois !
Louis Delallier
*Voir mon article sur les témoignages moulinois de guérison retrouvés dans la presse.
Bibliographie
Parallèle de Voltaire et de Victor Hugo, conférence faite au théâtre de Moulins, le 23 juin 1885, par M.A. Bécanier, impr. F. Charmeil, Moulins, 1885
Création de l'enseignement primaire par la Convention, conférence faite au théâtre de Moulins, par M.A. Bécanier, impr. F. Charmeil, Moulins, 1886
Pitié pour les pauvres, poésies publiées par M.A. Bécanier, à l'occasion des fêtes de bienfaisance données par la ville de Moulins (1886-1887), impr. J. Mayet, 1887
Conférence publique sur Henri Régnault, le peintre-soldat, tué à Buzenval le 19 janvier 1871, par A. Bécanier, impr. F. Charmeil, Moulins, 1888
Conférence publique sur la poésie patriotique en France, de la Chanson de Roland à nos jours, par A. Bécanier, impr. F. Charmeil, 1888
Centenaire du 22 septembre (1792-1892), conférence faite au théâtre de Moulins, Développement de la réflexion de Michelet
« La Convention doit le meilleur de sa gloire aux admirables institutions dont elle a doté la France. », impr. F. Charmeil, Moulins, 1892
Conférence sur Mme de Staël, impr. F. Charmeil, Moulins, 1893
Conférence sur Pierre Dupont, impr. F. Charmeil, Moulins, 1893
Statuts du Comité républicain du canton de Moulins-est et ouest, du Comité républicain progressiste du Montet et de la chambre syndicale des travailleurs agricoles de Thiel, impr. F. Charmeil, Moulins, 1893
Catalogue méthodique de la bibliothèque communale de Moulins, dressé et rédigé par M.A. Bécanier ... et M.G. Chérion (attaché de presse) ... impr. F. Charmeil, Moulins, 1894
Volume 1 Manuscrits et théologie
Volume 2 Jurisprudence et belles-lettres
Volume 3 Sciences et arts
Volume 4 Histoire et géographie