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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Août 1893 : Des Dahoméens et Dahoméennes en exhibition à Moulins

Publié le 7 Avril 2024 par Louisdelallier in Fêtes

Août 1893 : Des Dahoméens et Dahoméennes en exhibition à Moulins

Le Courrier de l’Allier l’annonce comme un évènement : une caravane venue du Dahomey* se produira au restaurant Raynaud, route de Lyon, le dimanche 7 août.

Pour préparer les spectateurs de Moulins et ses environs, le journal dépeint la représentation de Bourges. Les hommes et femmes, assis séparément, chantent et utilisent des instruments musicaux tels des gongs, des tam-tams, des tambourins et une sorte de cône auquel sont suspendus de petits objets qui émettent un bruit assourdissant lorsqu’ils sont secoués. Les hommes, torse nu, suivis des fameuses amazones vêtues de tuniques bariolées, exécutent une fantasia et simulent des manœuvres guerrières. Ils portent pour la plupart une matraque sur l’épaule et des colliers de verroteries. Les femmes sont de petite taille et de proportions agréables. Yeux brillants et dents d’une blancheur d’ivoire complètent la description. Les danses masculines cadencées avec contorsions finales sont considérées comme le clou du spectacle. Celles des femmes dont seul le torse bouge ne recueille pas autant d’applaudissements. Comme les Dahoméennes aiment beaucoup fumer des cigarettes, les visiteurs sont avertis qu’ils peuvent en apporter ainsi que de la monnaie dont tous sont friands.

Les séances de l’après-midi dominical moulinois attirent les curieux en nombre, au point d’enlever sensiblement du public à une kermesse organisée en ville. Mais si l’exotisme est au rendez-vous, la déception l’est aussi. Le groupe a été dédoublé, voire détriplé et il ne reste qu’une quinzaine de personnes qui, bien que jugées très belles, ne satisfont pas les attentes. On déplore également l’installation de l’estrade au fond d’une cour remplie d’un soleil de feu qui empêche les derniers spectateurs de bien voir.

L’histoire de ces exilés temporaires tient, on s’en doute, plus de l’exploitation que d’une tournée artistique hors des sentiers battus.

La troupe arrive de l’exposition ethnographique coloniale de Paris présentée comme résolument scientifique et destinée à justifier la colonisation du Dahomey. Engagée pour huit mois par Guillaume Ibos, ancien premier ténor de l’Opéra-Comique, improvisé directeur de l’exposition, elle est présente en mars au palais des arts libéraux sur le Champ de Mars à Paris. On précise dans la presse nationale (dont le Courrier du soir du 15 octobre 1893) que ses 122 membres ont tous quitté librement leur pays et que leur expatriation n’a donné lieu à aucun de ces marchandages ignobles auxquels on assiste trop souvent encore en Afrique. Ils doivent recevoir 100 francs par mois tout en étant nourris et logés. Pendant quatre mois, ils sont régulièrement payés et achètent des étoffes, de la vaisselle, de la parfumerie, etc. qu’ils gardent précieusement dans leurs malles. Lorsque les Parisiens se lassent de leurs exhibitions, ils sont divisés en trois groupes commandés par le roi Jonaï, les princes Lavahi Kosoko et Bertoldo. On leur doit encore des gages d’un montant de 56 000 francs. L’ouest, l’est et le centre de la France une fois parcourus, ils se réunissent à Nîmes et gagnent Marseille le 30 septembre.

Bien que tout près de leur retour au pays, ils n’en ont pas fini avec les complications. A commencer par l’accueil dans La laiterie modèle de Marseille où ils sont plus parqués qu’hébergés. Sans argent et sans bagages, ils apprennent par un télégramme que leurs malles ont été pillées à Paris (peut-être par Guillaume Ibos lui-même). Lorsque qu’elles arrivent sur le Thibet, navire qui fait la traversée de la Méditerranée, ils découvrent qu’il leur manque pour 10 000 francs de marchandises. En parallèle, Joseph Ibos, leur imprésario, tente de traiter avec le cirque Rancy sans donner de suite. A l’image de son frère, il a plus d’un tour dans son sac, car il n’a pas réglé la totalité des billets du voyage de retour (environ 15 000 francs). Les Dahoméens qui ne parlent pas français sont désespérés. Heureusement, deux révérends pères des Missions lyonnaises croisent leur chemin et les conduisent à raconter leurs mésaventures à un juge d’instruction qui prend fait et cause pour eux. Joseph Ibos ouvrira son porte-monnaie de force. Les frères seront sous le coup de mandats d’arrêt pour escroquerie et vol. Leurs justifications tiendront principalement dans la vengeance à leur endroit d’un nommé Langlois restaurateur au Champ de Mars. Si les bagages ont été ouverts, jurent-ils, c’était pour en retirer la viande qui y sentait très mauvais et récupérer ce qui avait été dérobé par leurs « protégés » qu’ils ont bel et bien rémunérés.

Le mercredi 11 octobre à 16 heures, les exilés, enfin parvenus au terme de cette épopée humiliante, embarquent.

Le quotidien le Radical demande, à l’instar d’autres confrères, que ces démonstrations, ethnologiquement insignifiantes, humainement pénibles et fruits de calculs commerciaux indélicats, soient défendues.

 

Louis Delallier

 

*Le Dahomey est un ancien royaume africain dont le roi Béhanzin, monté sur le trône en 1889, décide de résister militairement à l’ingérence française et de remettre en cause les accords passés. En réaction, la France commence une colonisation qui durera de 1890 à 1895 jusqu’à l’installation d’un nouveau roi, Agoli Agbo, qui lui est acquis. Le pays accède à l’indépendance complète le 1er août 1960, sous la dénomination de république du Dahomey, avant de prendre en 1975 son nom actuel de République du Bénin.

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