Deux trains spéciaux depuis Cosne-d’Allier* feront l’aller-retour les dimanche 15 et mardi 17 février. Les amateurs de carnaval pourront être à pied d’œuvre à Moulins dès 13h 30 et repartir à 0h 25 pour être rentrés à 2h 53, soit 43 km en presque 2h 30. On parle quand même de marche accélérée. Un service d’autobus aux horaires similaires est également prévu au départ de Saint-Pourçain-sur-Sioule.
Ceci posé, il convient de faire la publicité de cette 3e édition du carnaval moulinois renaissant. Des voitures-réclame parcourent la campagne où le succès se mesure au nombre de programmes et de tirages de la chanson de carnaval vendus. Le disque enregistré en permet une diffusion sur de nombreux phonos. Les commerçants de Moulins ont fait provision de costumes originaux. On incite les particuliers à pavoiser et illuminer leur maison. Des haut-parleurs des maisons Démonet et Roche diffuseront une musique toute carnavalesque en différents points de la ville. Les commerçants ont reçu l’aimable consigne de fermer leurs portes le mardi après-midi et de rester ouverts tard les autres jours.
Course de taureaux, concours de bredignots (régionalisme signifiant bredin), grand défilé, bataille de confettis ( 2 500 kg sont en vente), pas moins de cinq bals au théâtre, cortège lumineux le lundi soir, tout est réglé au cordeau. Il ne reste qu’à espérer que l’hiver ne fournira pas un de ses assauts neigeux et glaciaux courants à cette époque.
Le premier des bals (dont l’entrée coûte 30 francs parce qu’il est de bienfaisance) se déroule à guichets fermés dans une salle élégamment décorée de glycines mauves, rose et or, de fins rameaux d’asparagus, et parfumée avec la dernière création de la maison parisienne Coty, L’Aimant.
Une innovation remarquée concerne l’orchestre de M. Delgouffre suspendu sur un « pont d’argent » à la hauteur des loges préfectorale et municipale, entouré de glycines et de verdure et agrémenté d’une anse en diagonale ornée d’un grand ruban rose et paille. Sa Majesté Carnaval, Messieurs Marquais et Chatron, éminents membres du comité des fêtes, accueillent de non moins éminentes personnalités comme M. Delaporte, préfet de l’Allier, M. Roye, son chef de cabinet, et Messieurs Perraut et Planche, adjoints municipaux. Jusqu’à 6 heures du matin, les couples chamarrés tournoient entraînés par la musique, les serpentins pleuvent et les ballons s’envolent avec légèreté.
Le dimanche matin, la rue appartient aux bredignots qui se promènent en prenant bien soin de passer devant les jurys (au Grand Café place d’Allier, aux cafés Barthélémy place de la Gare et Taque près du théâtre)**. Une corrida qualifiée de comique se déroule ensuite place d’Allier.
C’est l’après-midi que Carnaval monte officiellement sur son trône. Dagobert, roi des bredignots, Lustucru, roi des cuistots, Marlborough et Saint Éloi, Dumollet, Colombine, Pierrot, la Mère Michel, reine des Bredignots et autres joyeux compères l’entourent. Au départ de la rue Régemortes, le cortège traverse la ville par les rues et les places bondées de spectateurs jusqu’à la gare, au son des fanfares : char des reines, des vieilles chansons françaises, du garçon de café à cheval sur une gigantesque bouteille, du retour du marché, du champignon (bolet géant cueilli dans la forêt de Moladier), de Cadet-Roussel, de Carnaval III, une voiture de romanichels très moulinois, le taureau de la corrida, et tous les marcheurs bredignots, clowns, troubadours, grenadiers, pêcheurs à la ligne, animaux savants, Bourbonnais à l’ancienne.
En soirée, le bal réservé aux enfants (gratuit s’ils sont en tenue de bal et accompagnés - 10 francs par adulte) et celui des bredignots (entrée 10 francs - orchestre du Select-Jazz de Clermont) sont un franc succès.
La grande fête se poursuit le lundi après la tombée de la nuit, heureusement préservée juste à temps de la pluie violente et glacée qui laissait présager de mauvais moments. La ville s’éclaire tandis que les chars tout aussi lumineux se mettent en marche depuis la place de l’Hôtel-de-Ville et, par quelques détours, rejoignent le cours du Théâtre. Un bal populaire paré se déroule à partir de 21h 30 (5 francs l’entrée).
Le mardi, dernier jour, le cortège, double de celui de dimanche, se regroupe à 13 heures rue de Bourgogne, cette fois. Lui aussi est presque miraculeusement préservé des caprices matinaux de la météo. Les reines de Moulins, de Bourbon-l’Archambault et de Lurcy-Lévis sur leur char rose et or ne souffriront donc pas trop derrière leurs sourires de circonstance. Quatre sociétés musicales sont de la partie (Lyre moulinoise, le Raffut du Mourgon de Saint-Germain-des-Fossés et le Rallye de Monte-Carlo). Sur la place d’Allier, l’exhibition cède la place à la bataille de confettis. Il est 16 heures. Mais la neige, jusque-là retenue, finit par se déverser sur la foule qui s’égayent en direction de la tiédeur de leur foyer. A 19 heures, il est temps pour les organisateurs et leurs invités de se restaurer à l’hôtel du Dauphin, place d’Allier, de discourir, de remercier et de souhaiter beaucoup d’autres éditions aussi réussies. Enfin, le théâtre accueille son cinquième et dernier bal (entrée 3 francs). Les musiciens de la Roseraie de Vichy occupent à leur tour la scène aérienne. La reine de Moulins fait son entrée vers 22h 30 escortée de celles de Lurcy et de Bourbon.
Deux incidents auront été cités dans la presse. A commencer par celui en face du bassin du jardin de la gare pendant l’un des défilés. Un homme, bien engoncé dans une toile blanche portant une tête de vache au regard éveillé qui se penche de ci de là vers les spectateurs, bute dans la bordure du trottoir. La tête bovine roule sur le sol et dévoile un visage humain vexé. L’homme n’arrive pas à se relever, ses bras sont trop bien enserrés. On l’aide en riant fortement.
L’autre mini-évènement se passe au cours du dernier bal. M. Dauphin qui surveille la porte d’accès à la salle refuse l’entrée à un travesti qui porte un chien. Les animaux susceptibles de causer du désordre ne sont pas admis. Le chien a pourtant un billet. Il s’en suit un échange verbal plus ou moins amène à la fin duquel le propriétaire de l’animal parvient à passer quand même. Mais M. Dauphin ne le laisse pas filer comme ça et revient peu après avec le chien dans les bras, un chien en carton ! On dit que M. Dauphin a été mystifié et on dit aussi que le coup était monté pour amuser la galerie.
Pour finir, les traditionnels remerciements (non exhaustifs) qui nous donnent une idée du nombre de bonnes volontés mises en œuvre pendant des semaines pour aboutir à une fête populaire des plus appréciées :
M. Concasty, président de l’Union commerciale et industrielle - les maisons Octave Col qui a offert les toilettes des jeunes filles, Iktys, Raynaud, Volclair, Marquais, Darnat, Mme Petitjean pour le reste des toilettes, accessoires ou coiffures.
Pour les bals, décoration de MM. Laforêt horticulteur, Merlin, la maison Coty pour le parfum, Spizzi et Soulier, miroitier et serrurier à qui on doit l’aménagement de l’orchestre, Cagnat buffet, Clayeux pour l’amplificateur, Désamais, droguiste pour la fourniture d’extincteurs Knock-Out.
Pour les transports : camionneurs Buffet frères, Chalmin et Topenot - maison Vidard - garages Reigneron et Boyer pour le matériel et voitures prêtées, la conduite des chars, les voitures - Moulay pour ses attelages, le vélo-club, la maison Vincent pour le personnel mis à disposition.
Les élèves de l’école supérieure - messieurs Mario, Bottone fils et Falgairoux - Les établissements Albert Col et leur personnel dont le dévouement est remarqué.
Enfin, la municipalité qui subventionne, prête du matériel, se montre attentive et ouverte aux demandes du comité des fêtes.
Louis Delallier
De superbes photos du carnavail 1937 provenant du fonds Darmangeat ont été mises en ligne sur le site des archives départementales de l'Allier : #AllierjeudiArchives
*Vieure, Buxières, Saint-Hilaire, Saint-Aubin, Bourbon, Agonges, Saint-Menoux, Coulandon, Patry, La Madeleine, Moulins-gare.
**1er Les Innocents - 2e Bredin’s Clinik - 3e La smala Chaouya - 4e Les Fratels’ Unis - 5e La Fanfare des bredignots - 6e Les Charrieurs - 7e La Ku-Klux-Klan - 8e ex-aequo Beau-Pierre et Yeyette et les Cheiks sans provision - 10e Les Pots au laids - 11e Où cours-je ? - 12e La Garde de Carnaval III.