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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Les maçons moulinois défendent leurs droits

Publié le 10 Juin 2024 par Louisdelallier

L'Assiette au beurre du 16 avril 1904 (BNF)

L'Assiette au beurre du 16 avril 1904 (BNF)

Septembre 1897, les ouvriers et manœuvres maçons* de l’agglomération moulinoise ne sont pas satisfaits de leur salaire. Une solution s’impose à eux : la grève. Elle commence le lundi 20 sur trois chantiers dont celui du pensionnat de l’asile de Sainte-Catherine à Yzeure. Les grévistes, une soixantaine, se réunissent au gymnase municipal, boulevard de Courtais à Moulins, et établissent par écrit la liste de leurs revendications. Puis, ils démarchent leurs collègues dans les chantiers environnants et récoltent cent-vingt signatures d’adhésions à leurs idées. Des délégués se rendent à l’hôtel de ville pour solliciter la mise à disposition d’une salle de réunion avec les entrepreneurs. Les tailleurs de pierre s’intéressent au mouvement qu’ils envisagent de rejoindre si les patrons refusent d’augmenter les salaires.

Le 22 au soir, cent-cinquante maçons chiffrent précisément leurs attentes :

Journée de deux heures - prix de l’heure 50 centimes pour les premiers ouvriers - 30 c. et 35 c. pour les deux catégories de manœuvres - indemnité d’un franc pour le panier jusqu’à 500 mètres et 1,50 franc au-delà.

Ils menacent de la grève générale s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Il se dit que les menuisiers, eux aussi, auraient des conditions de travail nouvelles à soumettre et que des agitateurs connus seraient derrière ces rébellions.

Une réunion a bien lieu le 23 à 20 heures dans une salle de l’hôtel de ville. Mais seulement treize patrons sont présents sur les vingt-neuf attendus. En conséquence, aucune avancée n’est constatée. Le lendemain, deux-cents ouvriers cessent le travail en attendant la réunion de « rattrapage » prévu le soir-même. Les tailleurs de pierre travaillent encore. Dans la journée, quatre appels des grévistes sont effectués au gymnase pour vérifier leur loyauté.

La rencontre du 24 au soir n’ayant attiré que onze entrepreneurs, les grévistes décident d’en appeler au juge de paix, M. Dailheu, conformément à la loi de 1892** portant sur les conciliations. Parallèlement, une lettre est adressée aux organisations syndicales de France par M. Lavergne, secrétaire de l’Union des syndicats de l’Allier. Les fonds espérés en retour sont à envoyer à Charles Bernard, rue des Garceaux à Moulins.

Le 27, la grève reste générale car seuls trois maçons sur trois-cents sont à leur poste, protégés par la police qui veille à ce qu’il n’y ait pas de représailles à leur endroit.

Le Courrier de l’Allier suit le mouvement de près. Il formule des souhaits de résolution rapide comme dans le conflit entre les ferblantiers et leurs patrons, à la fois pour les familles qui souffrent et pour la reprise des travaux dont l’arrêt entraîne un lourd préjudice dans les entreprises.

Les patrons ayant accepté la conciliation par le juge de paix, elle se déroule le mercredi 29 à partir de midi. À 16 heures, un accord*** est conclu sur la plupart des points litigieux grâce à la diplomatie et au professionnalisme de M. Dailheu. Les maçons peuvent se féliciter de leur ténacité et reprendre le travail dans la sérénité. Cette entrevue fait germer une proposition provenant des deux parties : la création d’un conseil de prud’hommes**** à Moulins.

Un autre corps de métier s’inspire aussitôt de cette réussite, celui des couvreurs qui réclament des augmentations salariales, la journée de 10 heures au lieu de 11, la suppression de l’assurance, la nourriture et le couchage à la charge des patrons pour les déplacements et une indemnité d’un franc pour le panier.

Le Courrier de l’Allier (1er octobre 1897) estime son rôle en la matière terminé avec la résolution du conflit maçon et ne publiera pas sur l’action des couvreurs qui doit se poursuivre.

 

Louis Delallier

 

* Treize entreprises de maçonnerie moulinoises figurent dans l’annuaire de l’Allier de 1897 :

Baron, 4 boulevard du Champbonnet - Bouchet-Tardy, rue des Garceaux - Brondet, place Victor-Hugo - Boucher, avenue d’Orvilliers - Chevalier, rue Pape-Carpantier - Clostre, rue de la Fraternité - Martin, rue de la Fraternité - Michelon, rue Rameau (rue du Général-Hoche) - Moron, place de l’Hôtel-de-Ville - Messonnet, rue Rameau - Messonnet, rue Gaston (rue Charles-Rispal) - Robert, rue Gaspard-Roux - Tardy Georges, rue de Bardon.

** Loi du 28 décembre 1892 sur la conciliation et l'arbitrage facultatif en matière de différends collectifs entre patrons et ouvriers ou employés.

***Pour les ouvriers, jusqu’au 31 décembre, augmentation de 4 centimes de l’heure - A partir du 1er janvier, 50 c. de l’heure - Pour les manœuvres, jusqu’au 31 décembre, salaire majoré de 3 c. de l’heure - A partir du 1er janvier, échelle de prix entre 27 et 33 c.

Pour tous, prime d’assurance à la charge de l’entrepreneur - journée de 10 heures entre 6 heures et 18 heures, moins deux heures pour le déjeuner - indemnité de panier de 50 c. par jour seulement au-delà de deux km de la barrière la plus rapprochée du chantier - conditions de déplacement avec nuitée à négocier au fur et à mesure - heures de travail après le coucher du soleil payées double - paie tous les quinze jours, le samedi dans le bureau des patrons - emploi d’échafaudages présentant toutes les conditions de sécurité prévues par la loi.

****Le premier conseil des prud’hommes est installé le 29 décembre 1900.

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