Cette auberge a déjà fait l’objet d’un article ici sur son histoire mouvementée en lien avec sa fréquentation. Cette fois, grâce à un journaliste du Courrier de l’Allier, il est possible de se faire une idée de son atmosphère, précisément en février 1897.
L’auberge Franchaise ou A la Descente du Petit Voyageur ou encore Hôtel du Petit-Voyageur, également surnommée l’hôtel des Ambassadeurs (on mesure l’ironie) est située rue du Pont-Ginguet. Dans cette longue rue habitée principalement par de pauvres gens et cadre de faits divers parfois compliqués, seul ce type d’établissement peut tenir dans la durée. Madame Franchaise semble n’avoir pas froid aux yeux pour être capable d’accueillir des hôtes parfois imprévisibles et rarement policés. Et elle n’a pas vraiment pris la peine d’améliorer l’aspect extérieur et intérieur de son commerce.
C’est une enseigne grinçante en tôle mal peinte au-dessus d’une devanture aux vitres pas nettes qui signale l’endroit. Derrière la porte d’entrée, on découvre une grande salle tapissée d’un papier très ordinaire et mal éclairée par une lampe à huile qui fume. On est saisi par cette demi-obscurité, par l’odeur des pipes et des vêtements mal séchés (on est en hiver) dont l’humidité forme une sorte de brouillard supplémentaire. Les fenêtres, côté rue, sont garnies de grands rideaux de couleur pourpre. Des bancs et plusieurs longues tables noircies où sont posés des écuelles de terre jaune, des verres de café, des restes de charcuterie sur des papiers graisseux occupent l’espace. Ce jour-là, près d’une soixantaine de clients, plus miséreux les uns que les autres, sont assis et s’occupent à recoudre leurs hardes, à réparer leurs chaussures. Certains chantonnent des refrains à la mode.
Qui sont-ils, ces déshérités qui n’ont jamais eu ou ne retrouveront pas de place dans la société ordinaire ? Eh bien ! souvent ils font du commerce, à leur façon. Il y a le papelard* qui force la main avec effronterie et en mentant. Il y a celui qui se vante d’avoir récolté une belle recette, mais qui quémande une cigarette. Il y a celui qui vend des chansonnettes ou complaintes les jours de marché et de foire et qui n’est pas toujours muni du condé** exigé pour chanter sur les places publiques et dans les grandes rues. Un autre fait l’article pour une mixture d’étamage du métal composée de vif-argent et d’acide nitrique, dangereuse pour la santé. D’autres de ses compagnons d’infortune fabriquent soit une pâte pour nettoyer les fourneaux et les tuyaux de poêle, soit une solution de cire et d’alcool pour les meubles et même des tire-bouchons, des trépieds, des anneaux de fil de fer, etc. qu’ils tentent d’écouler.
Il en arrive aussi porteurs de sacs bourrés de gomme récoltée sur les arbres fruitiers des vignobles qu’ils placent facilement dans les ateliers de chapeaux. Des vendeurs de menthe, d’eaux de toilette, de savons, de parfums allant du Congo au Japon, de baume pour les dents ou les cors aux pieds à base de carotte et de betterave côtoient les raccommodeurs de porcelaine, de faïence, de parapluie Cantalou ou Savoyard. A tous ceux-ci s’ajoutent les jeunes, vieux, infirmes ou bien-portants qui se contentent d’aller d’auberges en prisons.
Couronne Franchaise les connaît bien et sait à quoi s’attendre avec eux notamment en matière d’hygiène. Elle a donc fait installer un « cabinet d’épuration » (15 centimes la séance) au second étage. C’est un réduit de quatre mètres carrés sans autre mobilier qu’un poêle bas sur pied qui brûle du soufre pour exterminer la vermine des vêtements. Ce traitement vient compléter la douche obligée pour qui veut loger sur place. Le loyer est de 30 centimes par jour, payables à l’avance par précaution. Le paiement est matérialisé par un numéro de couleur différente à présenter pour accéder aux chambres. Un domestique** conduit chacun au bout d’un long couloir au pavé inégal où l’escalier en colimaçon de la tour permet d’accéder aux meilleures pièces (celles du bas sont humides et froides). Leurs murs sont blanchis à la chaux jusqu’à hauteur d’homme. Le plafond est fait de vieilles solives noircies par le temps. Dix à douze lits serrés les uns contre les autres (on est quelquefois deux par lit) y sont disposés.
Madame Franchaise s’accommode si bien de cette clientèle qu’elle a fait imprimer des cartes publicitaires qui circulent loin de Moulins. On se les communique volontiers car on sait qu’on sera bien accueilli malgré des règles strictes.
Louis Delallier
*Adjectif signifiant faux doucereux, mielleux
**Autorisation exceptionnelle accordée par la police en contrepartie d'informations.
**En 1891, deux domestiques sont recensés : François Gilbert, 51 ans, et Marie Jacquet, 12 ans. Le recensement de 1896 est manquant.