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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Octobre 1896, la visite officielle de Nicolas II en France vue de Moulins

Publié le 11 Août 2024 par Louisdelallier

Le Figaro du 28 septembre 1896

Le Figaro du 28 septembre 1896

La librairie Durond, rue François-Péron, présente dans sa vitrine quelques objets rapportés de Russie par un Moulinois. Il les a reçus enveloppés dans un mouchoir imprimé qu’il a aussi précieusement gardé. Le gouvernement russe a distribué à la population moscovite des gobelets et des assiettes contenant des bonbons et des saucissons à l’occasion du couronnement du tsar Nicolas II le 26 mai 1896. Cette exposition moulinoise n’est pas le fait du hasard. En effet, Nicolas II, l’impératrice Alexandra et leur fille la grande-duchesse Olga arrivent en France pour un voyage officiel du 5 au 9 octobre.

On en voit les effets à la gare de Moulins dès la fin septembre. Pour prendre part aux fêtes organisées en l’honneur du tsar, des troupes effectuent le trajet Marseille-Paris dans des trains spéciaux. Un premier détachement de troupes algériennes (deux pelotons du 1er chasseurs d’Afrique et deux pelotons du 1er spahis commandés par le colonel de Laforcade comprenant 8 officiers, 124 hommes et 130 chevaux) réparties dans 25 wagons fait une brève halte à Moulins. Les spahis font impression dans leur uniforme : « veste turque garance, pantalon et gilet bleu céleste, bottes arabes, burnous garance ou blanc ».

Le lendemain, un bataillon du 3e tirailleurs algériens de Constantine (24 officiers, 586 hommes commandés par le colonel Luxer) descend du train au signal du clairon et s’égaille sur les quais. En dehors des gradés et de la fanfare classique, on remarque les soldats africains et nord-africains porteurs de nombreuses médailles commémoratives. Leurs instruments de musique constituent également une curiosité : gasbas, derboukas, fifres et tambourins. À l’appel du clairon, tous réintègrent les wagons comme un seul homme.

Les zouaves du 1er régiment sous les ordres du chef de bataillon Marquet (24 officiers et 513 hommes) leur succèdent. Ils passent un joyeux quart d’heure sous la marquise de la gare. Le dernier détachement à faire une courte halte à Moulins, le 3 octobre, est constitué d’un bataillon du 3e zouaves de Constantine (18 officiers et 581 hommes commandés par le colonel Mauduit) et d’une compagnie du 4e tirailleurs sénégalais de 125 hommes.

En ville, le passant peut découvrir le pavoisement attendu par le ministère de l’Intérieur pour célébrer la venue du tsar. Le préfet Joseph Goulley donne l’exemple avec son accrochage de plusieurs drapeaux français et russes, également tricolores. L’hôtel de ville et le théâtre arborent eux-aussi les couleurs des deux pays. Toutefois, une imperfection de taille saute aux yeux : les couleurs russes (blanc, bleu et rouge) sont positionnées verticalement et pas horizontalement comme il se devrait !

S’agit-il d’une simple négligence ? La question peut venir à l’esprit car, affirme le Courrier de l’Allier, Joseph Sorrel, maire de Moulins, est téléguidé par un « on » qui pourrait bien être son parti républicain. Serait-ce pour cette raison qu’il aurait décliné l’invitation faite à tous les maires de chaque chef-lieu et de chaque commune de plus de 20 000 habitants de se rendre à Paris pour l’évènement ? Son collègue Jean Dormoy, maire socialiste de Montluçon, n’a pas davantage accepté ce déplacement. Il juge que le voyage de Nicolas II est purement politique et qu’il n’y a pas de « garantie d’une alliance loyale, franche et sérieuse » entre la Russie et la France*.

A Vichy, c’est une tout autre manière de penser et de faire. Le maire Ferdinand Desbrest et sa municipalité sont à l’origine d’une fête franco-russe allant de la pose de drapeaux (dans le bon sens…), aux illuminations et à un bal au marché couvert.

Toute le monde n’est pas insensible à ces festivités. Pour preuve, le train qui quitte Moulins le dimanche 5 octobre à 22 heures pour Paris. Les quais sont envahis deux heures avant le départ par une grande partie des 320 voyageurs dont les billets avaient été affectés à Moulins (aller et retour 9 et 14 francs). Pour obtenir un coin dans les compartiments, il faut s’y prendre très tôt. Cela ne ternit pas la bonne humeur affichée. Encore 970 autres personnes monteront entre Saint-Pierre-le-Moûtier et Gien pour atteindre le maximum transportable. A leur retour, le 20 octobre à 20h 30, la satisfaction est tout aussi grande que la fatigue. Ils l’ont vu !

Pour garder un souvenir tangible, ont été mis sur le marché quantité d’articles pour tous les goûts et les porte-monnaie :

-Cocarde en ruban de satin en forme de marguerite dont le centre est orné du portrait des souverains surmontés de l’aigle russe et de la couronne impériale

-Ecusson franco-russe encadré de lames d’argent soutenu par deux hirondelles

-Médailles et médaillons variés avec portrait au recto et dates au verso, nœuds aux couleurs franco-russes, branches de laurier, armes de Paris, etc.

- Bouton franco-russe

- Myosotis franco-russe, fleur du souvenir

- Plume franco-russe ornée du portrait du tsar s’adaptant aux chapeaux

- Fleurs en métal aux couleurs franco-russes

- Ecus, louis en carton à l’effigie de Nicolas II

- Canne franco-russe dont l’intérieur renferme un drapeau à agiter pour acclamer le tsar.

Quelques jours après la visite, des lecteurs du Courrier de l’Allier suggèrent de nommer les fillettes à naître Olga en l’honneur de la fille des souverains**. Mais aucune Olga ne figure dans les actes d’état-civil moulinois entre octobre et décembre 1896. 

Louis Delallier

 

* L'alliance franco-russe est un accord de coopération entre la France et l’Empire russe. Cet accord, conclu en 1892, est entré en vigueur en 1893. L'alliance a été dénoncée unilatéralement par le gouvernement russe issu de la révolution d’Octobre 1917

**La famille impériale tout entière sera assassinée dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 : Nicolas II et Alexandra, leurs enfants Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et Alexis. Seront touchés en même temps Anna Demidova, femme de chambre, Aleksei Egorovitch Trupp, valet de pied et Evgueni Sergueïevitch Botkine, médecin de la famille. La version officielle d’un ordre donné par l’Uralispolkom (Soviet de l’Oural) est contredite par le journal tenu par Léon Trotsky qui en attribue la responsabilité à Lénine.

 

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