Comme toute municipalité propriétaire de son théâtre, Moulins exerce un contrôle sur la nomination d’un directeur qui devra assurer la programmation d’une saison. Elle lui accorde ainsi son privilège municipal. En échange de l’obligation de venir avec une troupe capable d’interpréter opéra, opérette et opéra-comique, Frantz Delparte*, directeur de la troupe qui porte son nom, obtient, en 1897, la gratuité de la salle, des décors, du matériel, du mobilier et de l’éclairage. La ville prend aussi à sa charge les cachets des musiciens de l’orchestre.
La saison du printemps 1899, dite de Pâques, dure du dimanche 2 avril au dimanche 21 mai pour seize représentations dont une au profit du bureau de bienfaisance et bénéficie d’une subvention municipale de 1 500 francs. La troupe arrive à Moulins le lundi 27 mars. Elle est dirigée par Gaston Traverso à la suite du décès très récent de F. Delparte, son oncle.
Il a décidé d’ouvrir la saison dans les meilleures conditions possibles avec le Faust de Charles Gounod qui a l’avantage de ne comporter que de « beaux et bons rôles ». M. Rouzès, ténor élégant à la voix bien posée, à la fois douce et puissante, se trouve légèrement enroué et montre quelques défaillances qui ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir.
Le lendemain, lundi 3 avril, il interprète Vincent dans l’opéra de Gounod Mireille (rôle tenu par Mlle Berthet). Le Maître de chapelle ou le Souper imprévu de Ferdinando Paër, la deuxième œuvre de la soirée, donne toute satisfaction au public.
Jeudi 6 : Mignon, opéra-comique d’Ambroise Thomas. Le ténor Rouzès est cette fois victime d’une subite sciatique fort douloureuse.
Dimanche 9 : la fille du Tambour-Major opérette de Jacques Offenbach attire peu de spectateurs. On juge cette désaffection bien méprisante.
Jeudi 13 : Carmen de Georges Bizet.
Vendredi 14 : les Mousquetaires au couvent, l’opérette de Louis Varney, est reçue avec des trépignements de gaité, des rires et fait l’objet de nombreux rappels de la part d’un auditoire nombreux.
Samedi 15 : la représentation est annulée par manque de public très versatile ! la raison en serait un répertoire trop connu et par conséquent sans attrait.
Jeudi 20 : Manon opéra de Massenet. Le public est encore clairsemé. On en vient à se demander si les artistes ne devraient pas se produire seulement deux fois par semaine au lieu de trois. Ils manifestent quand même de l’entrain et sont très applaudis.
Dimanche 23 avril : la Favorite, opéra de Donizetti et le Maître de Chapelle. Cette soirée est considérée comme la meilleure de la saison et vaut des remerciements chaleureux à M. Traverso, l’intelligent et sympathique directeur.
Jeudi 27 avril : la Juive de Fromental Halévy au profit des pauvres. M. Hugues, fort ténor, qui a joué plusieurs saisons à Marseille et au grand théâtre de Rouen, est appelé à la rescousse en raison de l’indisponibilité de M. Rouzès, souffrant. Il fallait quelqu’un pour le rôle d’Eléazar en mesure de donner la réplique à Mlle Bonvoisin (rôle de Rachel) et c’est réussi. En effet, la salle presque comble lui réserve une chaleureuse ovation.
Samedi 29 avril : M. Breton, premier ténor léger fait ses adieux après la seconde et dernière représentation de Manon.
Dimanche 30 avril : la Fille du Régiment, opéra-comique de Donizetti et les Mousquetaires au Couvent.
Jeudi 4 mai : Boccacio, opéra-comique de Franz von Suppé.
Dimanche 7 mai : les Noces de Jeannette, opéra-comique de Victor Massé et, à la demande générale et pour la dernière fois, Boccacio. Le succès est au rendez-vous et procure à la troupe sa meilleure recette moulinoise.
Ce soir-là, un zingueur venant de Montélimar, Jean Grégoire, 36 ans, se présente au contrôle du théâtre et demande à voir Émile Loubet, président de la République depuis février, originaire de la Drôme également, qui a un emploi pour lui. M. Lannes, commissaire de police, qui se trouve au théâtre, propose à l’homme de l’accompagner auprès de M. Loubet. Il est en réalité conduit au poste par le sous-brigadier Fargues. Il ne s’agit pas de folie mais juste d’un abus d’alcool.
Dans la nuit du 9 au 10, M. Rouzès, qui avait dû interrompre son travail après la 3e représentation à cause d’une sciatique, se lève vers 23 heures dans la chambre qu’il loue au-dessus du café du Théâtre. La ouate imbibée d’un produit lénitif à base de térébenthine qu’il tient pour se frictionner s’enflamme au moment où il allume la lampe. Des fragments brûlants tombent sur sa jambe. A ses cris de douleur et d’effroi, M. Bourin, propriétaire du café, accourt et appelle le docteur Lejeune qui pose un premier pansement. Le ténor est conduit à l’hôpital Saint-Joseph dès le matin. Il s’en sortira, mais ne reprendra pas le travail à Moulins. Ses collègues ont l’intention de donner un spectacle à son bénéfice.
Jeudi 11 mai : le Chalet, opéra-comique d’Adolphe Adam et Rigoletto, opéra de Verdi. Les billets ont presque tous été vendus.
Dimanche 14 : le Maître de Chapelle et la Mascotte, opéra-comique d’Edmond Audran qui est une réussite.
Jeudi 18 : Werther, drame lyrique de Jules Massenet, pour lequel M. Devineau a été spécialement engagé pour jouer Werther face à Mme Bonvoisn dans le rôle de Charlotte.
Samedi 20 : la troupe Traverso se produit, en matinée, à la fête de l’association des anciens élèves de l’Ecole normale où plus de quatre-cents instituteurs ou institutrices du département sont rassemblés. Au programme : le Maître de Chapelle et la Fille du Régiment. Brio et talent sont salués.
Dimanche 21 : les Noces de Jeannette, Hamlet, opéra d’Ambroise Thomas (4e acte La Fête de Printemps) et la Fille du Tambour-Major, terminent brillamment la saison. Pas de cabotinage, de l’art véritable, des œuvres et artistes de valeur, les compliments s’enchaînent, mais sont contrebalancés par le risque de ne pas revoir la troupe en 1900 à cause de l’inconstance des spectateurs.
Le samedi suivant, la troupe de MM Ferval et Brémond de Roanne lui succède avec Rigoletto.
Louis Delallier
*Ténor, dont la troupe lyrique est administrée en septembre 1893 par lui-même aux côtés de son épouse, chef du contrôle, Jos Pater, secrétaire et Gaston Traverso, attaché spécial à l’administration (également son neveu). Il occupe successivement les fonctions de directeur des théâtres de Mons, Courtrai, Bruges, Tournai, Anvers, Ostende, Angers, Blois, Béziers, Nîmes, Arles, Oran, Besançon, Alger, Lorient, Perpignan, Constantine, Avignon.