21 décembre
Notre police, résolue à tout pour en finir avec l’assassin et persuadée qu’il est caché dans un bois et armé jusqu’aux dents, vient de demander au ministère de la Guerre de mettre à disposition… un tank ! Géniale idée !
22 décembre
Les frimas font sortir le loup des bois ! Aussi n’avons-nous pas été surpris de recevoir la visite du deuxième assassin de Montbeugny. Le bougre venait se plaindre à nous de ne pas recevoir sa part de charbon ! Indignée toute la nombreuse rédaction du Progrès s’est précipitée dans les rues de Moulins à la recherche d’un agent. Essoufflés, époumonnés, les rédacteurs sont rentrés les uns avec les autres, tête basse. Deux heures, ils avaient couru vainement. Pas d’agents ! Dormez en paix Moulinois, la police veille !!!
23 décembre
On nous affirme que le deuxième assassin de Montbeugny, pour se concilier la police, vient d’inviter tous nos habiles agents à un réveillon qu’il organise dans la forêt de Mulnay où il a fixé sa résidence jusqu’à la St-Sylvestre. Le menu sera succulent, les vins choisis. On boira à la gloire de la police et à la longévité de nos héroïques policiers. Cet assassin est un malin.
24 décembre
Voici la 5e communiqué de notre police mobile : l’assassin de Montbeugny s’est réfugié sur une montagne où il s’est puissamment fortifié. Nos troupes fortes de 3 333 hommes entourent la montagne de trois côtés. Elles s’efforcent de compléter l’encerclement. Un buisson paralyse leurs efforts. Nous attendons des renforts.
28 décembre
Encore un communiqué de nos valeureux policiers : L’assassin de Montbeugny menacé d’encerclement a pu s’échapper. Il se retire rapidement, nos troupes le talonnent. Il n’a plus qu’une avance de 34 km. On espère le rattraper avant la Trinité.
29 décembre
Quarante-cinq de nos policiers, (étonnez-vous après cela des attentats répétés à Moulins et aux alentours), sont partis pour le quartier général des tanks depuis quelques jours. Ils y vont apprendre la manœuvre du monstre. Notre service d’information nous permet d’assurer qu’à la première rencontre entre eux et les tanks, trente-neuf ont eu mal au cœur et trois autres mal au ventre ! Pauvres bougres !!
31 décembre
Encore un communiqué de la police : « Malgré la neige, malgré le départ d’une partie de nos troupes sur le nouveau front d’Avermes, nous avons poursuivi nos opérations offensives contre le deuxième assassin de Montbeugny. Grâce à la valeur de nos agents, nous avons marqué une nouvelle avance et l’ennemi n’a plus que 33 kilomètres 500 d’avance. Tous les espoirs sont permis. » Allons, tant mieux ! Un cheminot a été trouvé mort à Avermes sur la voie ferrée, manifestement victime d’une agression.
2 janvier 1918
On nous affirme que le deuxième assassin de Montbeugny est venu ces jours-ci faire une tournée dans notre bonne ville moulinoise. Il savait que par le froid qui sévit les rues de notre cité sont sûres… pour les criminels. Et il est venu acheter une paire de chaussures nationales ! La police a appris cette équipée trois jours après. Elle ne s’est pas émue !
5 janvier
On nous affirme que nos meilleurs policiers, les chefs notamment, ont tous reçu au premier janvier un superbe colis postal contenant, les uns, un superbe faisan, les autres, un gros lièvre. D’autres encore, un modeste lapin. A chaque envoi était joint une carte sur laquelle on lisait : « Le 2e assassin de Montbeugny à ses poursuivants avec toute sa reconnaissante sympathie. » Tout va bien !
7 janvier
On a besoin de travailleurs à l’arrière du front. L’assassin de Montbeugny nous fait parvenir une proposition que nous transmettons à qui de droit. Inutilement des gens perdent leur temps à faire croire qu’ils le recherchent. Ils seraient mieux utilisés à creuser des tranchées. Il offre de contracter un engagement spécial pour travailler lui-même aux fortifications que veut le général Pétain, à condition que les policiers l’imitent. Personnellement, nous n’y voyons nul inconvénient.
8 janvier
Deux de nos policiers habiles assis sur le bord du fossé de la route de Bessay à Neuilly étaient plongés dans la lecture du Progrès. L’un lisait la quatrième page toujours variée, l’autre rognait en lisant la rubrique « le drame de Montbeugny ». Derrière la haie voisine apparaît une tête d’homme à l’air anxieux. Rassuré, il allume un cigare et, la canne à la main, défile devant eux. Il entend au passage un fort grognement. Puis il s’éloigne. Nous avons appris que c’était le deuxième assassin.
10 janvier
La neige et le froid ne permettent pas à nos policiers vaillants de grandes opérations stratégiques. Assis autour de feux importants, la crise du charbon ne les ayant pas atteints, ils réfléchissent et leurs chefs préparent, nous affirme-t-on, des plans nouveaux pour aboutir enfin à l’arrestation du 2e assassin. Lors du dégel, tout sera prêt. Espérons-le ! Mais savoir ce que prépare pendant ce temps l’assassin ? Pourvu, bon Dieu, que ce ne soient pas de nouveaux assassinats !
18 janvier
Il nous arrive les échos d’une fête des rois à laquelle a participé le deuxième assassin de Montbeugny. On y a mangé une belle galette des rois. C’est l’assassin qui a eu la fève et a été déclaré roi. Sans hésiter, il y a pris dame police pour reine. Et c’est dans l’enthousiasme qu’on a bu au roi et à la reine !
22 janvier
Emportée par le vent, la casquette du deuxième assassin a été retrouvée sur la place d’Allier. Notre police, bien par hasard ! l’a retrouvée et reconnue. Tout émue, de cette découverte qui démontrait la présence proche de notre homme, elle délibère pendant trois heures trente-trois minutes autour du couvre-chef ! Nous ignorons encore à cette heures les décisions prises.
23 janvier
Monologue d’un de nos policiers qui sait ce qu’il veut : prends des précautions, prends ton café chaud, prends des pastilles Géraudel, prends des soins contre les courants d’air, prends ton cache-nez, prends ton pardessus fourré, prends le trottoir de gauche, prends le petit verre de rhum que t’offre un ami, prends ta pipe, prends la peine de t’assoir près du poêle de ton bureau, prends soin de ta personne… mais ne prends pas l’assassin de Montbeugny, c’est dangereux.
26 janvier
La police, impuissante à arrêter le deuxième assassin de Montbeugny, se lamente et se désespère et nous avec elle, hélas ! On nous affirme qu’elle est à la veille de prendre une résolution désespérée. Elle pense à rendre la liberté au premier assassin et à le suivre comme un Peau-Rouge suit une piste. Elle espère ainsi arriver à découvrir le refuge du deuxième assassin. Mesure grave, désespérée. Dame police réfléchissez. Etes-vous bien sûre d suivre ? Oui !!! Je le suis moins.
31 janvier
Les affaires sont les affaires. La police fait ses affaires, les policiers font leurs affaires le deuxième assassin de Montbeugny fait ses affaires, celui d’Avermes fait aussi ses affaires. Tout le monde fait ses affaires. Il n’y a que les assassinés qui, hélas ! ne les font plus.
6 février
On a vu le deuxième assassin de Montbeugny aux environs de l’atelier de chargement. Il s’est distingué en empêchant un de nos policiers de s’emparer d’un des dangereux obus de 37 qui parsèment, encore nos champs, et que l’autorité militaire, avec grande raison, ne veut pas qu’on touche. Nous ne serons plus étonnés de la cordialité des relations entre la police et l’assassin. L’explosion de l’atelier de chargement s’est produite dans la nuit du 2 au 3 février tuant trente-deux ouvriers, en blessant 200 autres et causant de très importants dégâts sur les bâtiments moulinois et yzeuriens.
8 février
Une trêve vient d’être conclue entre la police et le deuxième assassin de Montbeugny. Celui-ci a, en effet, offert son concours à la police pour l’aider à rechercher M. Brizon, très certainement disparu, puisqu’on ne l’a pas vu à Moulins au cours de ces derniers jours. La police a accepté son offre. Pierre Brizon, natif de Franchesse, est alors député socialiste de l’Allier.
13 février
Le printemps chante ! Le deuxième assassin de Montbeugny aussi. On l’a vu déambulant sur une de nos belles routes en fredonnant une romance où il est question à la fois de son amie (la pauvre) et de Dame police, son autre amie. Entre les deux son cœur balance et il ne sait quelle est celle qui lui est la plus chère ! Qui nous l’apprendra ?
14 février
Le deuxième assassin de Montbeugny, tenant à manifester sa reconnaissance à dame police, qui le laisse vivre en paix depuis si longtemps, s’occupe à rassurer les Moulinois qui ne sont pas encore complètement remis de la frayeur qu’ils ont eue au moment de la catastrophe de l’atelier de chargement. Il accomplit ainsi gracieusement une tâche que certains agents de l’autorité ont complètement oubliée durant la nuit tragique. On ne manquera pas de lui en tenir compte et il y a encore de beaux jours pour lui !
17 février
Dans un groupe sur la place d’Allier, on discutait avec animation. Il y avait là un ou deux policiers, quatre ou cinq bons Moulinois, deux étrangers. Je l’aurais, condamné à mort, moi aussi, s’écriait un de nos bons Moulinois. C’est un salaud, opinait un de nos bons policiers. Moi, dit un des deux étrangers, je l’aurais acquitté. Surprise ! Les regards se croisèrent et notre homme doucement s’esquiva. C’était le deuxième assassin de Montbeugny. Les policiers n’en sont pas encore revenus !!!
18 février
Le deuxième assassin de Montbeugny avait entendu dire que les entrepreneurs moulinois n’avaient pas assez d’ouvriers pour effectuer les réparations des dégâts causés par la catastrophe de l’atelier de chargement. Voulant se rendre utile et aussi manifester sa reconnaissance à sa vieille amie, dame police, il est venu se mettre à leur disposition en qualité de manœuvre. Mais nos braves entrepreneurs sont perplexes, ils ont peur. Que craignent-ils donc ? Le second bandit de Montbeugny s’emploie actuellement à les rassurer.
20 février
On nous apprend, à la dernière heure, que le deuxième assassin de Montbeugny vient de passer en Espagne. Il a été, paraît-il, chargé d’une mission de confiance par Monseigneur Bolo. Il recherche les papiers que celui-ci n’a pu aller chercher lui-même, M. Clemenceau lui ayant refusé un passeport. En raison de ses excellentes relations avec la police, le deuxième assassin de Montbeugny, lui, n’a ni besoin de M. Clemenceau, ni de passeport. Mais qu’il se hâte, c’est le cas de dire qu’il y a urgence.
22 février
Le deuxième assassin de Montbeugny nous fait savoir qu’il constituera prisonnier le jour de la signature du traité de paix. La police, d’autre part, étant impuissante à l’arrêter, nous sommes contraints de supprimer notre rubrique qui devient sans objet. Hélas !!!
Arrestation du deuxième assassin en Belgique. Il avait été hospitalisé à Orléans du 10 au 20 octobre environ avant de passer le conseil de réforme à la caserne franco-belge de Paris et d’être envoyé dans le camp d’instruction où il a été retrouvé.
23 mars
Ça y est ! Mais oui, ça y est ! Enfin ! La police vient de prendre sa revanche. Mais hélas ! C’est la police belge ! Heureusement que l’héroïque petite nation est notre alliée et son lustre rejaillit par alliance jusque sur la nôtre. Gloire à la police belge qui a arrêté le Belge assassin de la fermière de Montbeugny ! C’est vrai, nous ne l’avons pas encore dit tant la nouvelle nous emplit de joyeuse surprise. Le deuxième assassin de Montbeugny est arrêté ; il est même arrêté depuis quelque temps et notre police maligne, qui garde mieux les secrets qu’elle n’arrête les assassins ne s’en vantait pas ! il a été arrêté sur le petit morceau de terre belge resté libre et que défendent si courageusement les fidèles du roi Albert. Il a été arrêté, il est arrêté. Réjouissons-nous et félicitons-nous : le deuxième assassin de Montbeugny est arrêté ! Bon Dieu, pourvu qu’il ne s’échappe pas !!!
Jules Marchand est jugé par la cour d’assises de l’Allier les mardi 22 et mercredi 23 juillet 1919. François Vereertbrugghen, 37 ans au moment des faits, comparaît seulement comme témoin car, en sa qualité de sujet belge, il sera jugé dans son pays. Les deux hommes donnent des versions différentes des évènements tentant de se disculper au détriment de l’autre. Marchand est condamné à quinze ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour. Il embarque en juillet 1921 sur la Martinière pour le bagne de Cayenne d'où i s'évade en juillet 1923. Repris, il est condamné à deux ans de travaux forcés.