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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Drame de Montbeugny, le Progrès de l’Allier ironise sur la police (1/2)

Publié le 6 Octobre 2024 par Louisdelallier in Faits divers

L'Assiette au beurre du 3 juillet 1909 (Source gallica.bnf.fr)

L'Assiette au beurre du 3 juillet 1909 (Source gallica.bnf.fr)

À Montbeugny, à une quinzaine de kilomètres de Moulins, dans la soirée du 5 octobre 1917, deux individus s’en prennent aux fermiers qui ont bien voulu les nourrir et les héberger dans le fenil pour une nuit. Ils tuent deux des femmes présentes et blessent gravement le métayer avant de prendre la fuite.

Peu de temps après, Le Progrès de l’Allier se déchaîne contre ce qu’il considère comme l’incompétence de la police qui ne parvient pas à arrêter les coupables de cette ignominie. Les entrefilets cruellement moqueurs, se succèdent sans faiblir. Plus de cent-trente jusqu’en mars 1918 ! Chacun est intitulé Drame de Montbeugny. L’actualité politique sur fond de guerre sert parfois à appuyer le propos volontairement excessif.

 

Florilège

22 octobre

Les paysans de Montbeugny et des lieux circonvoisins n’osent plus sortir. Mais… les assassins se promènent !

25 octobre

La police recherche avec activité les assassins de Montbeugny. Malheureusement, elle est aveugle. On demande pour elle un caniche doué de nez fin.

27 octobre

Chou blanc ! Deux de nos plus habiles policiers parcouraient un de ces jours derniers nos campagnes. Ils recherchaient les assassins de Montbeugny. Soudain, ils entendirent des cris stridents dans une ferme voisine. « Les voilà qui récidivent s’écrièrent-ils ». Et bravement, ils se précipitèrent du côté de la ferme. Hélas ! ce n’était qu’un cochon qu’on était en train de saigner ! On pense tout de même à récompenser le courage de ces deux braves.

28 octobre

Ne pouvant arrêter les assassins de Montbeugny, notre police se désespère. Elle cherche, elle cherche. Ne trouvant rien, elle envisage l’idée d’arrêter le métayer pour simulation d’assassinat. Après tout, c’est une solution !!!

29 octobre

Les assassins de Montbeugny se baladent, les agents de la mobile aussi. La terre est petite. Comment ne se rencontrent-ils jamais ? Nous offrons une prime importante à qui donnera la solution de ce problème.

1er novembre

Offre est faire aux assassins de Montbeugny, s’ils consentent à se constituer prisonniers d’une bonne pipe en merisier et 35 grammes de Maryland !

2 novembre

Nos policiers ont cru bon de compléter [le signalement des assassins envoyé dans toute la France] en envoyant à tous les parquets et brigades de gendarmerie de France et de Navarre le portrait… du chien de la ferme.

3 novembre, Le Progrès annonce avoir reçu la visite de l’un des assassins, arrivé au journal anxieux et reparti rassuré de savoir qu’il y aurait bien une pipe et du tabac à la fois pour lui et son acolyte.

4 novembre

On demande des amateurs pour assassinats de métayers inoffensifs. Sécurité absolue garantie.

6 novembre

Les deux assassins croisent deux braves gendarmes à cheval « Tiens, s’écria l’aîné, nous n’en avions pas vu, sais-tu, depuis le jour de notre exploit ». Et polis, ils saluèrent la maréchaussée digne et sévère.

10 novembre

M. Poincaré est à Paris, M. Painlevé à Rome, Bolo en prison, Almereyda dans sa tombe, et les assassins de Montbeugny en villégiature. Tout va bien. Raymond Poincaré, président de la République - Paul Painlevé, alors président du conseil des ministres - Paul Bolo, dentiste et aventurier français, condamné à mort par le Conseil de guerre, exécuté en avril 1918 au fort de Vincennes - Eugène Vigo, dit Miguel Almereyda, photographe, journaliste et militant anarcho-syndicaliste, antimilitariste, mort à la prison de Fresnes le 14 août 1917 (suicide ou meurtre, la question reste posée).

11 novembre

Le ministère Painlevé tombera, la guerre finira, le Kaiser crèvera, le Kronprinz pourrira ; mais la poursuite des assassins de Montbeugny se poursuivra éternellement.

12 novembre

La poursuite des assassins de Montbeugny se poursuit. Cette poursuite poursuivie avec ardeur a fatigué les poursuivants qui ont résolu de poursuivre quand même avec une énergie nouvelle leur poursuite. Signé LUPIN

L’arrestation du plus jeune des fuyards (il a dix-sept ou dix-huit ans) du côté d’Orléans ne calme pas l’ardeur hostile du Progrès de l’Allier à l’encontre de la police.

20 novembre

Les investigations ont succédé à la poursuite, qui est restée malheureusement infructueuse pour le second assassin. Nos agents les plus habiles sont occupés à rechercher les ascendants des ascendants des ascendants de cet assassin. On espère par eux obtenir des renseignements précis sur le bandit.

22 novembre

On demande un chien policier spécialement à la recherche des assassins. On choisirait de préférence un chien policier dressé à Montbeugny et chassant seul les assassins. On paierait un haut prix et, en cas de succès du chien, on ajouterait à ce prix une belle prime supplémentaire de 0,15 franc. Avis aux éleveurs !

24 novembre

Etonnée des succès de la déclaration ministérielle de M. Clemenceau, notre police songe à l’imiter. Trois de nos meilleurs policiers depuis trois jours travaillent trois heures par jour à mettre sur pied une déclaration à la population et à l’assassin dont ils attendent les meilleurs résultats. Ministre de la Guerre depuis le 17 novembre, Georges Clemenceau fait une déclaration au Sénat le 20 novembre 1917. On écrit dans la presse que chacun sent qu’un tournant de la guerre s’amorce sous son autorité patriotique.

25 novembre

On a aperçu dans la rue d’Allier le parapluie de l’aîné des assassins. Quatorze de nos plus braves agents se sont immédiatement lancés sur les traces dudit parapluie. La poursuite n’est pas terminée. On a les meilleures raisons de croire que le parapluie cachait son porteur et on espère ainsi un beau coup double.

28 novembre

Bravo ! Il n’est jamais déshonorant de reconnaître ses faiblesses et même son impuissance. On nous affirme que notre excellente police se reconnaît incapable d’arrêter le deuxième assassin de Montbeugny par ses seuls moyens. Elle vient donc de penser à demander d’autres concours et elle songe notamment à confier la recherche du deuxième assassin au… premier qu’elle a enfin sous la main.

1er décembre

Quatrième communiqué de la police : Malgré tous leurs efforts, les quatorze policiers lancés à la poursuite du parapluie du deuxième assassin n’ont pu s’en emparer. Un violent coup de vent l’a brusquement emporté au moment où ils allaient enfin s’en saisir. On ne sait ce qu’est devenu celui qui le portait. On n’a trouvé qu’une vaste blague vide sur le trottoir de la rue. La poursuite n’en continue pas moins.

2 décembre

Hertling parle, le nouveau chancelier boche discoure. On nous affirme que si l’assassin de Montbeugny est introuvable, c’est qu’il est parti en Bochie, muni d’un passeport en bonne et due forme, pour assister aux débuts du nouveau chancelier du Kaiser. Vous m’en direz tant ! Georg von Hertling, chancelier impérial d’Allemagne depuis le 1er novembre.

4 décembre

J’ai lu et relu la déclaration ministérielle de Clemenceau. J’ai lu et relu le discours du dénommé Hertling. J’ai lu et relu les proclamations du fameux Trotski. J’ai lu et relu les communiqués. Je n’ai rien vu sur l’assassin de Montbeugny. A quoi pensent-ils tous ? Bon Dieu ! à quoi pensent-ils ? Nos policiers, eux, ne pensent qu’à lui ! Léon Trotski, marxiste, puis bolchevik, est un des personnages principaux aux côtés de Lénine de la toute récente Révolution russe d’octobre.

7 décembre

Bon Dieu ! Où est-il ? où se cache-t-il ? Un policier intelligent s’interrogeait ainsi en pensant à l’assassin de Montbeugny. Il tournait et tournait dans son cabinet où chaque jour il consacre sa prodigieuse intelligence à chercher l’assassin de Montbeugny. Soudain, une voix lui répondit : « Pas ici ! ». Et, pour la première fois, le policier réfléchit que, pour trouver l’assassin de Montbeugny, il ferait peut-être bien de le rechercher ailleurs qu’autour de sa table.

8 décembre

On ne nous a pas tout dit sur la Conférence des Alliés. Notre service d’informations nous a fourni d’utiles renseignements complémentaires. Il paraît sûr notamment que ladite Conférence a délibéré sur le drame de Montbeugny pendant 33 minutes et 13 secondes et, qu’après avoir voté de chaudes félicitations à nos dévoués policiers, elle a pris des décisions graves, mais secrètes. Nous regrettons vivement de ne pouvoir les publier. La Conférence des Alliés, ouverte le 29 novembre 1917 au ministère de la Guerre à Paris, a pour objectif de mettre en place un commandement unique capable de réagir aux attaques des sous-marins allemands. Des représentants italiens, serbes, roumains, grecs, japonais, russes, américains, britanniques (dont Winston Churchill) et français s’entendent pour créer un état-major naval interallié.

11 décembre

Notre police est perplexe. A l’exemple des Soviets, l’assassin de Montbeugny demande un armistice. Il veut venir à la Trésorerie générale pour souscrire à l’emprunt. Nos policiers se demandent où est le devoir. « Armistice, répondrons-nous ; il n’y aura rien de changé et nous aurons la souscription !! » Pendant la Première Guerre mondiale, quatre emprunts nationaux sont émis (novembre 1915, octobre 1916, novembre 1917 et octobre 1918) pour financer la guerre, plus longue que prévu.

16 décembre

On nous affirme que la poursuite du deuxième assassin de Montbeugny va être suspendue ! Pourquoi ? Parce que nos policiers vont être appelés à la garde du stock des mines de Bert qui brûle tranquillement. Ils auront la mission d’empêcher nos concitoyens voisins de la mine de s’en approcher et de s’y approvisionner. La chose a paru si importante à notre Administration qu’il n’est pas de trop de tous nos policiers pour obtenir ce grand résultat !!!

 

Louis Delallier

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