Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Tsiganes, bohémiens, gitans, romanichels : de singuliers voyageurs sous contrôle

Publié le 9 Janvier 2025 par Louisdelallier

Fripounet et Marisette du 26 août 1951

Fripounet et Marisette du 26 août 1951

Le hall d’agriculture du cours de Bercy est le lieu choisi par les autorités pour procéder aux opérations anthropométriques en rapport avec la circulation des personnes itinérantes. Elles se déroulent dans toute la France et doivent se terminer au 15 mars. A Moulins, quarante-cinq personnes seront « répertoriées » à partir du samedi 3 janvier 1914 pour suivre l’obligation contenue dans la loi du 12 juillet 1912.

MM. Moisson, secrétaire général de la préfecture, et Lacroix, commandant de gendarmerie, accompagnés de M. Rocarpin, commissaire de la police mobile et MM. Jofaux et Pottiez, inspecteurs de la police mobile de Clermont-Ferrand, de plusieurs agents et gendarmes, de M. Vernois, employé préfectoral, se retrouvent face à une trentaine de gens du voyage de tous âges dont quelques enfants impressionnés et sages.

Chacun se résigne à cet enregistrement légal et profite du rassemblement pour s’épancher sur les difficultés de la vie. Une mère de six enfants explique la mort de son cheval acheté à peine deux semaines auparavant et qu’il faudra remplacer au prix de beaucoup de travail pour gagner la somme nécessaire.

On est en janvier et il ne fait pas chaud (moins 5° à 7h, moins 3° à midi dehors). Les braseros qui auraient été les bienvenus dans le hall n’ont même pas été installés. La procédure exigeant un déshabillage partiel pour plus de précisions dans les descriptions physiques, on hésite à cause du froid et on perd ainsi un temps précieux. En attendant, on commence la séance de photographies ; il est déjà 11 heures. Finalement, il est décidé de se rendre dans la salle du Pont-Ginguet chauffée par deux poêles, au chevet du Sacré-Cœur, pour la suite des opérations. Mais comme chaque relevé d’informations s’éternise, on doit renvoyer une partie des personnes présentes après tirage au sort. À la fin de la première journée, seules douze recevront leur carnet officiel comportant identité, pays d’origine, photographie de face et de profil, mensurations, empreintes digitales, longueur du majeur et de l’auriculaire gauches, de la coudée et du pied gauche, de l’oreille droite, situation familiale et militaire, etc. Une fiche reprenant ces renseignements est transmise à la préfecture et une autre à la Sûreté générale.

Il faudra bien quatre à cinq jours pour terminer ce repérage car il arrive, en surplus, ceux qu’on nomme chevaliers de la route envoyés par les gendarmes du secteur et les employés d’octroi. On note que les nomades acceptent assez bien de se plier à ces formalités même si les femmes et jeunes supportent plus difficilement d’ôter leurs vêtements. Les tout-petits n’échappent pas à l’identification notamment par l’empreinte de leur pouce et la mesure de leurs oreilles, deux parties du corps les moins susceptibles de changer. Le docteur Dupré est mandaté pour vacciner chaque personne contre la variole. Les inspecteurs se déplaceront ensuite à Gannat, Lapalisse et Montluçon.

Avec ces mesures spéciales, on répond à une attente étatique et populaire en tentant de limiter les fausses identités, les vols ou incendies inexpliqués qu’on attribue parfois aux itinérants ; on espère compliquer les déplacements incessants qui permettent de vendre* divers objets avec plus ou moins de véhémence, mendier, distiller la bonne aventure. Cette présence rendant les routes de campagne peu sûres, on demande aux nomades de faire viser leur carnet individuel ou collectif dans toutes les communes traversées s’ils veulent y séjourner plus de vingt-quatre heures afin de garder un œil sur eux**.

Un tragique évènement se produit à la Demi-Lune (rond-point des Martyrs actuel) à la Madeleine où quelques familles foraines ont choisi d’attendre leur tour pour être recensées. Dans la nuit du 5 au 6 janvier, la voiture du rempailleur de chaises Jean Bouligant, 57 ans, originaire de Commentry, prend feu. Malgré l’alerte donnée par ses voisins et les seaux d’eau déversés, le malheureux meurt brûlé vif. Les Guénot, stationnés tout à côté, échappent à la catastrophe en déplaçant leur véhicule qui a commencé à flamber. Une simple braise serait à l’origine de l’incendie ou encore une lampe défectueuse.

 

Louis Delallier

 

*En Charente-Inférieure, on relève une impressionnante variété de métiers : saltimbanque, vannier, chanteur ambulant, marchand forain, lutteur, colporteur, acrobate, écuyer de cirque, graveur, boulanger, artiste d’agilité, marchand d’oiseaux, fabricant de corbeilles, marchand de chevaux, fabricant de cadres de coquillages, etc.

Dans les landes : rétameur, saltimbanque, colporteur de livres et papiers à lettres, vannier, siffleur, chanteur ou musicien ambulant, marchand forain, marchand d’aiguilles et vendeur de chaussons, marchand de paniers, tondeur de chevaux, marchand d’ânes, lutteur, boulanger, ouvrier, mendiant, garçon d’hôtel, comédien, acrobate, écuyer de cirque, directeur de théâtre, graveur, boulanger, artiste d’agilité, artiste lyrique, laboureur, maquignon, fabricant de tabourets, terrassier, tapissier, raccommodeur de parapluies, tailleur, etc.

 

** Dès 1897, des propositions parlementaires concernant les mendiants, vagabonds, nomades, puis les professions ambulantes, visent à surveiller et marginaliser les tsiganes, également nommés bohémiens ou romanichels. Le problème, réel, de leur identité revient régulièrement dans les débats : Quand un nomade étranger est entre les mains du juge d’instruction, si on lui demande où sont ses enfants, où il s’est marié, où il a enterré ses morts, il répond qu’il a enterré les siens sur la voie publique ou quelque part dans un champ ; que ses enfants sont nés dans sa roulotte, dans une localité dont il a oublié le nom ; et qu’en ce qui concerne son pays, il est venu au monde quelque part, lui aussi, dans un lieu inconnu dont il n’a pas conservé le souvenir. A cela s’ajoutent les doutes sur leur façon de gagner leur vie et la crainte qu’ils inspirent : un nomade qui ne fait rien - Ils vont dans le Midi l’hiver et dans le Nord l’été jusqu’à des dérives comme On reconnaît les romanichels à des signes qui sont les suivants : il y a d’abord un signe de race que vous connaissez comme moi. » Ces échanges qui se déroulent à la chambre des députés révèlent davantage une hostilité envers un groupe qu’un constat de véritable différence et de dangerosité.

L’idéologie ambiante conduit donc progressivement à l’élaboration de la loi du 16 juillet 1912 pour surveiller et réprimer le vagabondage en roulotte. On distingue trois catégories d’ambulants: les marchands ambulants, les forains de nationalité française et les nomades. Chacun se voit attribuer des papiers d’identité spécifiques : simple récépissé de déclaration (marchand ambulant), carnet de forain (avec sa photographie), « encartement » du nomade d’après laméthode de Bertillon (inventeur de l’identification anthropométrique des criminels, à laquelle sera ajoutée la dactyloscopie ou relevé des empreintes digitales). L’article 3 de la loi indique que sont réputés nomades, quelle que soit leur nationalité, tous individus, circulant en France, sans domicile ni résidence fixes et ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus [spécifiées aux articles 1 et 2], même sils ont des ressources ou prétendent exercer une profession. Il s’agit d’obliger ces populations à se fixer en les identifiant et les contrôlant. La notion juridique de Sans domicile fixe voit alors le jour. Vingt-cinq mille personnes seront comptabilisées pendant la campagne du début de l’année 1912.

La loi de 1912 dont l’application est conduite par les services dépendants du ministère de l’Intérieur ne sera abrogée qu’en 1969. Elle aura été une alliée idéale pour l’Etat français pendant la Seconde guerre.

Des études publiées notammnt sur le site Cairn.info montrent et démontrent que ce sujet est incroyablement complexe et sensible.  

Commenter cet article