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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Laïcisation à Moulins

Publié le 20 Avril 2025 par Louisdelallier

Laïcisation à Moulins

Gratuité en 1881, obligation scolaire et laïcisation en 1882, organisation de l’école publique en 1886, les partisans de la laïcité ont pour objectif de conforter le régime politique qu’ils défendent. Pour cela, ils doivent contrôler l’enseignement, principalement primaire, afin de former les jeunes esprits à l’idéal républicain. Ils ne s’en tiennent pas qu’à l’école et à la laïcisation des programmes, des locaux et des personnels. Les hôpitaux, entre autres, font partie de leur champ d’action. Là aussi, une telle remise en question ne va pas sans poser des difficultés tant aux exécutants des décisions qu’à ceux concernés par elles.

A Moulins, on s’émeut du traitement réservé aux emblèmes religieux de l’hôpital-hospice Saint-Joseph* où les grands moyens sont déployés pour en effacer toute trace. Dans l’après-midi du jeudi 6 octobre 1892, les crucifix qui se trouvent dans les salles de l’hospice Saint-Joseph sont enlevés et remis à la Supérieure avec défense expresse de les raccrocher. Le Courrier de l’Allier n’hésite pas à parler d’infamie. Il regrette avec véhémence le retrait de ces représentations sacrées du Rédempteur qui consolaient les malades, encourageaient les agonisants et répandaient sur les défunts sa bénédiction divine. Honte et malheur sur ceux qui ont chassé Dieu de cet asile de la Douleur et de la Mort !

Et cela ne s’arrange pas. Le lundi 10 octobre, des maçons employés de l’établissement sont chargés de retirer toutes les statues et de transporter celle de Saint Joseph du jardin à la chapelle des lieux. Les pensionnaires et le personnel accueillent ces odieux agissements avec douleur.

Les propos Courrier de l’Allier sont exceptionnellement approuvés par La Croix de l’Allier du 9 octobre 1892. Tout à fait dans son rôle de journal de confession catholique, elle va jusqu’à dénoncer la responsabilité de la franc-maçonnerie dans ces coups de force. Et elle dénonce avec émotion le sort réservé à l’enfant du pauvre, au peuple qui n’aura pas de crucifix au moment de son dernier soupir contrairement au bourgeois qui peut facilement s’en procurer un. Elle s’inquiète de ce qui pourrait bien encore se produire à cause des manœuvres des chefs f  m , autrement dit les francs-maçons, animés par un incommensurable mépris du peuple.

Cette laïcisation à marche forcée n’empêche pas les entorses comme en mars 1893 de la part des responsables de l’hôpital Saint-Joseph. Ils font procéder à l’enterrement « avec toute la cléricafarderie » possible d’un pauvre couvreur, lequel avait pourtant clairement souhaité être enterré civilement et refusé jusqu’à la fin la visite d’un prêtre. On ne lui a même pas attribué un cercueil digne de ce nom. Le sien était fait de planches d’à peine trois millimètres d’épaisseur mal jointes. Par mesure de rétorsion ?

En février 1895, la Libre pensée moulinoise se réunit un dimanche matin à l’hôtel de ville, sous la présidence d’Henry Pinguet**, franc-maçon notoire. Une commission est spécialement créée pour entrer en pourparlers avec l’administration des hospices de Moulins et obtenir dans le plus bref délai possible la poursuite de la laïcisation du personnel. Une fois cette information connue, les craintes sont ravivées, si tant est qu’elles ne se soient jamais apaisées. Et si les sœurs infirmières, malgré l’abnégation dont elles font preuve dans les soins et l’accompagnement des malades, étaient expulsées ? une réunion publique tenue dans les mêmes temps à la salle Wagram à Paris n’a-t-elle pas démontré l’augmentation considérable des dépenses depuis leur départ sans correspondre à une quelconque amélioration des traitements ? ne constate-t-on pas une violation journalière de la liberté de conscience et la disparition des garanties morales et religieuses ?

Encore plus de dix ans émaillés par bien des controverses, des différends et des manifestations de part et d’autre s’écouleront avant le vote de la loi du 9 décembre 1905 établissant la séparation des Églises et de l'État dont le projet a été défendu au parlement par Aristide Briand. Même si le mot laïcité n’y est pas cité, elle en pose les bases. Dans la neutralité de l’Etat et le respect de l’ordre public, la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. Des services d’aumônerie peuvent toutefois être financés par certains établissements publics fermés, comme les prisons ou les hôpitaux, d’où on ne peut sortir librement pour exercer sa religion.

 

Louis Delallier

 

*L’hôpital Saint-Joseph est dirigé par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Elles sont quinze à figurer dans le recensement de 1901.

**Né en janvier 1861 à Saint-Sornin (03), décédé en novembre 1937 à Paris, Henry Pinguet commence sa carrière comme instituteur. Il est chroniqueur à l’Indépendant de l’Allier avant d’en devenir rédacteur en 1888, puis directeur en 1891. Militant socialiste, il est élu conseiller général du canton du Montet.

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