Paris, musée Carnavalet - Corbillards du pauvre et du riche, estampe de Victor-Jean Adam (1801-1866)
Le décret impérial du 18 mai 1806 concernant le service dans les églises et les convois funèbres traduit la volonté gouvernementale de mettre en place une politique funéraire digne de ce nom. Elle affiche son souci de tendre vers une forme d’égalité devant la mort, de démocratisation, même si le faste des convois dépend toujours de la fortune de chacun. Les municipalités reçoivent délégation pour réglementer le transport des défunts.
Celle de Moulins prend la décision, au cours de l’hiver 1831*, de le confier à un service de corbillard. La raison principale en est l’ouverture du cimetière de la rue de Paris en mai 1829 à la suite de la fermeture de cimetière des Choux** le 25 avril précédent. La distance entre le nouveau lieu de sépulture et les paroisses Saint-Pierre et Saint-Nicolas où se déroulent les cérémonies religieuses complique les déplacements. L’usage d’un char funéraire s’impose alors dans l’esprit des élus dirigés par Gérard Antoine Louis de Champflour.
Mais la population ne l’entend pas de cette oreille. A commencer par les porteurs à bras de cercueils qui voient se profiler un manque à gagner. Une autre partie des habitants émet des réclamations virulentes notamment sur le monopole accordé à l’entreprise de corbillard qu’elle juge mauvais et injuste car il leur enlève tout choix. Pourtant, les pauvres ne courraient plus le risque de ne trouver aucun porteur à cause du prix. En effet, ce service serait gratuit pour eux leur assurant ainsi des funérailles décentes, héritage de la Révolution.
Cette levée de boucliers s’approche dangereusement de l’émeute à l’occasion d’enterrements dans le quartier des Mariniers. Cette localisation s’explique par le recrutement de porteurs généralement effectué dans les familles des mariniers. Le 24 décembre 1831, le maire et un détachement de la garde nationale escortent le convoi composé de quatre hommes, portant le corps, précédés du clergé, suivi d’un char funèbre vide entouré de piquets de dragons et de gendarmes. Des cris vifs s’élèvent au passage du pont Régemortes : à l’eau le corbillard ! malgré tout, l’ordre est maintenu jusqu’au cimetière.
L’autorité municipale comprend alors que les moyens d’inhumation reviennent aux familles et annonce avoir entendu leurs arguments. Un arrêté en ce sens est pris par le maire, mais le 31 août 1832 seulement car il a fallu attendre l’ordonnance royale du 5 août pour que l’usage du corbillard ne soit plus exclusif de tout autre. L’organisateur des obsèques est tenu de fournir des porteurs à bras à qui le souhaite au prix unique de dix francs. Quatre classes sont proposées allant de 3,86 à 4,74 francs. La gratuité pour les plus démunis est confirmée. Ainsi, les habitudes populaires ne seront pas bouleversées et l’emploi du corbillard prendra peu à peu le dessus.
Louis Delallier
*Dès mars 1829, une commission spéciale avait choisi l’adoption du corbillard comme mode de transport pour les adultes et du brancard pour les enfants (Henry Faure, Histoire de Moulins, volume 2, Crépin-Leblond, Moulins, 1900).
** Entre les rues de la Paix, du Jeu-de-Paume et des Potiers. La rue du Sommeil témoigne encore de son existence à cet endroit (voir mon article à son sujet).