Les soldats de la classe 1906 affectés aux corps de troupe de cavalerie rejoignent leur garnison respective et encombrent les gares déjà surchargées par les élèves qui rentrent en classe. A Moulins, le 1er octobre 1907, ce sont les recrues du 10e chasseurs cantonné au quartier Villars qui font leur entrée en ville.
Une semaine plus tard, leurs pairs affectés aux régiments d’infanterie et d’artillerie se déplacent à leur tour. Partout, les mesures sont prises par l’autorité militaire pour organiser au mieux leur transport et assurer l’ordre grâce à des sous-officiers de planton. La gare de Moulins, lieu d’escale entre deux trains, déborde de ces jeunes militaires qui s’égayent dans les rues où ils profitent de cette brève liberté pour consommer des boissons alcoolisées qui leur retournent le cerveau. Au matin du 8, on les entend chanter à pleins poumons l’Internationale, ce chant de discorde et de haine selon les termes du Courrier de l’Allier. Cette forme de rébellion est jugée inadmissible de la part de futurs serviteurs de la patrie.
Les bleus 13e escadron du train des équipages casernés au quartier Villars, quant à eux, bénéficient d’un dîner d’accueil le samedi 19 octobre auquel sont associés les officiers. Le menu
Jambon glacé
Bœuf à la mode
Petits pois fermière
Dinde rôtie aux marrons
Fromage de gruyère
Brioche en couronne
Vin
Café
Rhum
Cigares et cigarettes
leur apporte réconfort et détente après les quelques premiers jours pas toujours faciles de leur vie militaire toute fraîche. Il s’en suit un après-midi récréatif composé de chants et monologues divers, de prestidigitation, de morceaux musicaux joués par un orchestre symphonique sous la direction du brigadier-trompette du train des équipages.
Le lendemain dimanche, les voici déambulant en ville pour leur première sortie. On constate leur gêne à porter l’uniforme sous le regard des passants et leur empressement à saluer les gradés comme ils en ont reçu la ferme recommandation. Ils sont tellement mal à l’aise qu’il leur arrive de porter la main à leur képi devant des brigadiers de police, des livreurs ou des garçons de recettes de banques portant un vêtement galonné. Cette nouvelle existence les déstabilisera un temps seulement. Lorsqu’ils auront pris de l’assurance, certains feront parler d’eux comme ce groupe de réservistes.
L’après-midi automnal du vendredi 18 octobre est calme près du jardin de la gare jusqu’à l’arrivée de réservistes qui ont cheminé à pied depuis le quartier Villars, soit deux kilomètres à travers la ville. Les jeunes gens qui s’apprêtent à rentrer chez eux par le train ont probablement un peu trop fêté leur départ. Ils occupent la chaussée sans se préoccuper de la circulation hippo et automobile. Le conducteur de l’omnibus de l’hôtel de l’Allier doit leur demander de lui laisser le passage, ce qui n’a pas l’heur de plaire à ces messieurs. Ils l’injurient, arrachent l’échelle servant à monter les bagages sur le toit et en arrivent aux menaces physiques sur sa personne. M. Coutelard père, restaurateur, passant par-là, tente de les réprimander, ce qui lui vaut des coups et une morsure au bras. Les témoins de la scène prennent alors les choses en main et rossent à leur tour les réservistes qui ne s’y attendaient pas. Ils rejoignent la gare sans demander leur reste.
Louis Delallier