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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Le casino du Dauphin et ses artistes

Publié le 22 Juin 2025 par Louisdelallier in Spectacles

Arreté municipal du 13 avril 1896, extrait (Archives municipales Moulins)

Arreté municipal du 13 avril 1896, extrait (Archives municipales Moulins)

Le casino du Dauphin, établi cours Jean-Jaurès à Moulins, régale la population de ses soirées musicales entre 1889 et 1922 environ. D’abord dirigé par Gilbert et Madeleine Bodard, puis Madeleine seule après son veuvage, il est repris en 1908 par M. Morel et, en septembre 1912, par Pierre Chassagne. Les spectacles remportent un beau succès et sont régulièrement renouvelés par la direction pour susciter la curiosité de la clientèle. On s’y rend pour le plaisir : musique, danse, déclamation, chanson qui vire à la grivoiserie plus souvent qu’à son tour, boisson, racolage plus ou moins dissimulé.

Les artistes qui s’y produisent, comme ceux en contrat à la Rotonde et au théâtre municipal, font l’objet de nombreux articles critiques signés Louis d’Entraygues, puis Lucien d’Entraygues, et Marius d’Estoc (qualifié de bêcheur à outrance) dans l’Art lyrique ou la Lanterne à la fin du XIXe siècle. Ces articles sans concession nous apportent bien des informations sur la qualité des performances, des comportements ou parfois sur le physique, voire sur l’établissement.

Les femmes sont les principales cibles de ces critiques négatives. Une certaine Juliette Lacroix qui interprète Madame Sans-Gêne et une de ses collègues, Gillette, chantent faux à gorge déployée. On espère qu’elles trouveront à se faire engager ailleurs. D’autres rabâchent de vieilles rengaines déjà entendues à Montluçon. Un calmant est conseillé par article interposé à Mlle Éva de Bréval dont la prestation est néanmoins bonne. Ce jugement sur sa nervosité est conforté par un crépage de chignon entre Mlle Madeleine Studia et elle-même. C’est elle qui déclenche les hostilités et reçoit une vraie gifle sonore en retour. Le commissaire de police obtient une réconciliation, sans doute provisoire. Mlle Studia refuse le verre de chartreuse offert par sa rivale.

Il semble que les artistes soient bien nourris au Dauphin, car Mlle Barelli, au mauvais caractère et trop gourmande, est sujette aux indigestions. À Mlle Ninette, il est conseillé de se faire épiler ou ajouter des demi-manches à ses corsages. La maigre Sarah montre des dessous blancs dont un pantalon garni de dentelles enserrant ses flûtes et chante de plus en plus faux… Mlle Desgranges qui progresse devrait se départir de ce hochement de tête qui frise le tic.

Mlle Pilissier, la macaronique (qui pratique la parodie) italienne à la diction pitoyable, est aussi une forte tête. Sa laideur étant devenue un obstacle à son retour sur les planches, elle choisit de réunir ses partitions (elle loge sur place) et traverse la salle pour s’adresser à la directrice : « c’est bien, je m’en vais, puisque l’on a soupé de ma gueule ». Et on laisse sortir la mangeuse de polenta (sic) sous les huées.  

L’attitude de ces dames est relevée plusieurs fois dans ces articles. On leur reproche de temps à autre, ou souvent, de ne chanter que pour les messieurs du public dans lequel les militaires ont la part belle. Elles ont leur claque habituelle et se hâtent de retrouver l’un ou l’autre dans sa loge, ce qui provoque beaucoup de bruit pendant les représentations. Fréjus, l’un des comédiens, a la charge de dire : Mesdames et Messieurs, la direction me prie d’annoncer cinq minutes d’entracte pour avoir le temps de renouveler les consommations. On répète que la direction ne devrait pas laisser les artistes femmes quitter la scène pour aller causer avec les spectateurs chics dans leurs loges qui se font servir du champagne. Cela occasionne un boucan qui nuit au succès des camarades. Cet état de fait durera des années et peut-être ne cessera jamais.

Des appréciations louangeuses, plus rares, figurent toutefois dans les comptes rendus : Mlle Montel soulève les applaudissements rien qu’en entrant sur scène. Mlle Wilhmine, comique excentrique, exécute un grand écart épatant à la fin de son numéro. Elle dit bien la Marraine de Bagnolet, genre poivrot, qui lui va à ravir. Mlle Margry, en costume Watteau, est bonne.

Les départs et les arrivées des artistes sont relevés, pour s’en réjouir ou pour exprimer un soulagement. Henry est engagé au Concert français à Épinal. Mlle Montel part à Paris. Mlle de Bréval à Blois pour se lancer dans le commerce. M. Gauthier, vielle et mandoline, réengagé pour un mois, ajourne son départ pour Vichy. M. Gérald se rend à Lyon pour se reposer et préparer un nouveau répertoire. Mlle Roger, diseuse, quitte Moulins. M. Desjardins engagé au casino de Reims fait ses adieux. Mlles Léa Noris (comique danseuse) et Wilhmine (comique chanteuse) partent à l’Eden-concert de Saint-Étienne. Elles se sont associées sous le nom de Wilhmine-Noris pour un duo de danses. Les Draffi prennent le chemin du Concert-français à Epinal. Après un trop court séjour à Moulins de dix représentations, Tom Milfor, danseur et chanteur burlesque noir américain, regagne son pays. Chaque artiste doit se présenter dans les vingt-quatre heures au commissariat pour être enregistré et y déposer ses papiers d’identité.

Quant à l’établissement lui-même, l’instauration impromptue d’un droit d’entrée sous forme de « carte forcée » y attire les récriminations d’autant plus que deux « cerbères » veillent à rappeler à l’ordre tout entrant dans la salle.

Il est comparé à une coquette bonbonnière après sa réouverture au début du mois d’octobre 1896 avec une troupe nouvelle et supérieure à la précédente. Mais, l’entretien laisse à désirer puisque quelque temps plus tard, Marius d’Estoc ironise sur la mésaventure vécue par un spectateur. Celui-ci s’est assis sans vérifier l’état du fond de sa chaise. Il s’y est trouvé coincé dans la « position du clown dans un tonneau ». Deux personnes ont dû s’unir pour le tirer de là. Les chaises trouées sont nombreuses, jusqu’au siège dépenaillé du chef d’orchestre, M. Marxell.

Il est question à la fin de cette même année d’une revue locale en dix tableaux qui tombe à l’eau faute de crédits, semble-t-il, pour la réalisation des costumes, même si cet argument laisse dubitatif le critique Marius d’Estoc. Il n’empêche qu’une grande revue, et de qualité, verra bien le jour au Dauphin, créée par Marius Grandy, Moulins-revue 50 minutes d’arrêt. Il est l’auteur également de Moulins-voyant en 1898, qualifiée de revuette !

L’Artiste lyrique (organe de l'Union syndicale et mutuelle des artistes lyriques) du 1er octobre 1909 regrette vivement qu’aucune amélioration ne soit intervenue dans le traitement des engagés qui doivent loger dans un garni, propriété en toute discrétion de la direction. On soupe dans les loges sous l’œil complaisant d’un agent qui reste près de la directrice toute la soirée. Le même journal s’emporte, dans son numéro du 1er décembre 1909, contre l’établissement moulinois, mal tenu. Il exige du ministère de l’Intérieur de faire appliquer la circulaire réglementant les cafés-concerts et de faire fermer les cabanons grillagés donnant sur la scène auxquels on accède par un couloir. Mme Bodard est même montrée du doigt dans l’Artiste lyrique du 7 octobre 1911 pour son exploitation des artistes qu’elle emploie. On en appelle au préfet pour qu’il fasse cesser cet état de fait. Cet appel à l’autorité de l’Etat n’aura pas d’effet.

Ce sont donc des dizaines d’artistes hommes et femmes qui se sont succédé sur la scène du Dauphin désignés avec des termes propres à cette époque : excentrique, gommeuse (chanteuse de café-concert), romancière, diseur et diseuse, chanteur et chanteuse de genre, comique. Tous sont des professionnels précaires qui courent le cachet dans les villes de province, parfois à Paris pour les plus chanceux. Il leur arrive de quitter leur emploi précipitamment pour une meilleure rémunération ailleurs ou par manque de succès, pour éviter de régler quelque note de logement ou échapper à une histoire compliquée. Aucun d’entre eux n’a laissé de trace.

La seule dont il a beaucoup été question dans la presse locale et nationale, et bien tristement, est Charlotte Angélique Dauphin, assassinée en mars 1907 rue des Six-Frères où elle loge par son amant militaire, Albert Devedeux.

 

Louis Delallier

Il existe au moins deux arrêtés municipaux moulinois (13 avril 1896 et 12 juin 1906) se référant à la loi du 5 avril 1884 et notamment ce qui concerne les spectacles de curiosités : les marionnettes, les cafés dits chantants ou cafés-concerts et autres établissements du même genre relèvent exclusivement de la police locale, à moins que le préfet n'ait fait, à cet égard, des règlements applicables à l'ensemble du département ; c'est donc au maire à veiller au maintien de l'ordre dans ces réunions et particulièrement à surveiller le répertoire des artistes.

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