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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Quelques tribulations chinoises en Bourbonnais

Publié le 29 Juin 2025 par Louisdelallier

Le Courrier de l'Allier du 7 octobre 1921

Le Courrier de l'Allier du 7 octobre 1921

Un article du quotidien Les Nouvelles du 9 mai 1914 tente d’expliquer les causes de l’arrivée de Chinois à Paris et dans de grandes villes françaises par la révolution*. Il paraît « qu’on est très méchant chez les Chinois ». Cela aurait poussé à l’exil certains de ceux qui avaient les moyens de s’offrir le voyage. Mais comme il faut survivre en pays étranger, beaucoup sont devenus camelots. Il est question des babioles qu’ils tentent de vendre, fabriquées dans une imprimerie chinoise installée dans le quartier de Port-Royal à Paris. Certains travaillent au service d’entrepreneurs chinois dont ils écoulent la marchandise (objets sculptés, chaussettes en soie, porte-monnaie, cravates, jouets, etc.).

Peut-être que les Chinois et leur famille signalés à la toute fin du mois de novembre 1912 à Montluçon après avoir été expulsés de départements voisins sont un exemple de cette émigration vers l’Europe. Les commentaires journalistiques parlent de la curiosité qu’ils suscitent chez les passants. Les hommes portent les bagages à chaque extrémité d’une tige de bambou posée en travers de leurs épaules. Les très petits pieds des femmes empêchés de grandir par une technique millénaire de bandage ne manquent pas d’attirer l’attention.

Ils sont chassés de Montluçon le 2 décembre et se dirigent vers Clermont-Ferrand. Un journaliste local précise que les hommes ont coupé leur natte, qui serait un signe de leur ralliement à la république. Là-bas, la famille composée de neuf personnes continue son petit commerce de bimbeloterie et attire tout autant les regards. Elle est annoncée à Moulins dans les quarante-huit heures.

Effectivement peu après, elle fait halte à Moulins jusqu’au 13 décembre, jour de son départ pour une autre ville. Sa marchandise consiste en de petits jouets à transformation en papier dont on dit qu’ils sont des merveilles d’ingéniosité. On constate que les femmes ont de vraies difficultés à marcher surtout lorsqu’il faut éviter un véhicule. Les hommes, experts en jonglerie, épatent les spectateurs qui s’arrêtent près du marché couvert place d’Allier, où est installée la petite troupe.

Un autre facteur de cette émigration est la Première Guerre qui conduit les gouvernements britanniques et français à recruter de la main-d’œuvre directement en Chine. Il s’agit de l’utiliser pour compléter l’effort de production et de reconstruction sans toutefois l’enrôler dans leurs rangs armés. Ces hommes arrivent par bateau après d’éprouvantes et interminables traversées et au risque d’être pris pour cible par les Allemands. Leurs conditions de vie et de travail n’auront rien de serein. Une centaine est embauchée à la fonderie de Cusset et cantonnée à Saint-Yorre. En 1917, quelques-uns ayant tenté de se révolter sont condamnés entre six et dix mois de prison.

Début octobre 1921, un nommé Wang Sen Yeng, installé à Moulins sans que la raison n’en soit connue, est victime d’une agression de la part d’un mécanicien de la rue du Pont-Ginguet. Ces deux-là étaient en négociation sur la place d’Allier pour échange d’une breloque exotique contre 1,50 francs (1,83 euros). La transaction se solde par des coups de poings dans le visage du Chinois qui ne s’y attendait évidemment pas. Il a le courage de se rendre au commissariat pour raconter sa mésaventure malgré sa médiocre connaissance du français.

L’acheteur de très mauvaise foi et ivre se rebelle à la vue des deux agents venus à sa rencontre et refuse de marcher pour les accompagner. On doit le transporter au poste. Il venait d’être condamné en correctionnelle à huit jours de prison. Le 7 octobre, devant le tribunal, il déclare ne se souvenir de rien de cette affaire à cause de la boisson. Le Chinois, chaudronnier de son état, 33 ans, bénéficie d’un interprète qui ne parle pas vraiment mieux français que lui, d’où un dialogue de presque sourds. Un compatriote des deux hommes essaye d’aider à la compréhension sans plus de succès. L’un des trois, étudiant à Moulins, se trouve écrire assez bien en français et parvient à traduire correctement la déclaration de l’agressé. Maître Camille Planche défend l’inculpé qui est acquitté pour le vol et l’outrage à agents, faits non établis. Mais il est condamné à un mois de prison pour coups et blessures et à cinq francs d’amende pour ivresse.

A la fin du mois de janvier 1931, des colporteurs passent à leur tour par Moulins où ils exécutent des danses acrobatiques sur la place d’Allier. Ils ne s’attardent pas en ville.

L’étudiant dont il est question plus haut est scolarisé au lycée Banville. En effet dans les années 20, le lycée accueille de jeunes Chinois** grâce à l’action de l’association franco-chinoise d’éducation (siège est à la Garenne-Colombes) qui espère en accueillir jusqu’à 20 000 sur le territoire français. Au 1er janvier 1920, quarante-neuf d’entre eux sont déjà passés sur les bancs de l’établissement moulinois et d’autres doivent suivre. Le dimanche 18 janvier, vingt sont arrivés presque à l’improviste dit-on. M. Lavault, proviseur, et son administration étant rôdés à l’accueil d’urgence depuis la guerre, ont su s’adapter.

Le 3 février au soir, on note dans la presse l’arrivée par le train de Paris de huit jeunes, attendus par trois de leurs compatriotes déjà installés au lycée. Le 6, vingt-et-un autres les rejoignent. Les enseignants de la section chinoise sont MM Blanchet, également directeur d’études, Guitton et Reynaud. Des exercices pratiques et de conversation sont donnés par Mlle Bonerandi, MM Ballet, Desfrétière, Guet et Weilher. Ces jeunes gens qui ne connaissant ni le français, ni l’anglais sont répartis quotidiennement quelques heures dans les classes enfantine et primaire où on leur apprend le b-a ba comme aux tout jeunes enfants. Leur passage dure trois à quatre mois, puis ils sont dirigés vers des établissements universitaires ou techniques. Des stages en usine sont à leur programme. La distribution solennelle des prix de juillet 1920 récompense une trentaine d’élèves dont Loh-Chun (prix d’honneur) et Tchen-Kouang-Yao (prix d’excellence) pour seulement quatre en 1921, signe probable de la fin de l’expérience.

 

Louis Delallier

 

*La révolution chinoise se déroule du 10 octobre 1911 (soulèvement de Wuchang) au 12 février 1912 (abdication du dernier empereur Puyi). Elle produit des bouleversements sociaux et politiques assez sérieux pour renverser la dynastie des Qing après 268 ans de règne. La république remplace l’empire.

**Les académies de Paris et de Lyon en reçoivent huit cents chacune âgés de seize à vingt ans. Fontainebleau, Melun, Montargis, Nevers, Roanne sont partie prenante également.

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