Dès son inauguration le 23 mai 1897, le vélodrome moulinois connaît de bien belles heures grâce aux nombreuses manifestations réunissant des pointures du cyclisme encore récent de compétition. La fin du bail avec la SVM (société vélocipédique moulinoise) le 31 mai 1912 précipite sa fin car dès le mois de novembre le conseil municipal réfléchit à sa démolition afin de retrouver la destination primitive des lieux d’entrepôt de matériaux divers. Trois mois plus tard, le même conseil municipal, à la recherche de nouvelles recettes, s’oriente vers la vente des 7 550 mètres carrés espérant en tirer une soixantaine de milliers de francs. Courant 1913, les sabotiers sont autorisés à y déposer leur stock de bois créant ainsi des possibilités de se cacher des regards pour soulager des besoins naturels d’où un malaise pour les passants qui se plaignent.
Tergiversations, promesses de candidats aux élections municipales sur la réalisation d’un square et un embellissement des quais d’Allier, une Première Guerre mondiale et un supplément de négligence ou d’attentisme nous conduisent au 23 mai 1922 où l’agacement d’un groupe de propriétaires et locataires de la rue du Port (correspondant à l’actuelle rue Stéphane-Servant) est repris par le Progrès de l’Allier : Dépôt de pierres de démolition, vieilles ferrailles amoncelées par les peillereaux*, détritus de ménage, fumier, immondices de toutes sortes ; un employé a été vu y déverser deux voitures-poubelles. On parle de cité des orphelins tellement le sentiment d’abandon est fort.
L’idée d’un lotissement pour l’édification de maisons individuelles à bon marché prend vite le pas sur celle de l’aménagement du jardin public. En décembre 1923, le conseil municipal s’entend sur la vente de trente-sept lots par adjudication à 25 francs le m2 sauf pour les quinze premiers lots d’environ cent-soixante m2 à 12 francs. La Société de crédit immobilier du Bourbonnais serait chargée de proposer à la municipalité un type de maison avec ou sans étage, ces dernières le long de la rue du Port. Ce qui ne serait pas vendu dans les cinq ans reviendrait à la Ville qui pourrait le céder à prix fort. L’embellissement du quartier restant un objectif, une pelouse avec arbustes dans la partie en pointe agrémenterait la vie des habitants.
En avril 1924, au cours de son assemblée générale, la Société de crédit immobilier du Bourbonnais, 4 rue Voltaire, reconnaît que ses possibilités limitées d’attribution de pas plus de neuf prêts** la conduiront à une sélection rigoureuse des candidats. Les personnes intéressées peuvent se présenter à son bureau, le vendredi de 14 à 16 heures et le dimanche de 9 à 11 heures, pour prendre communication du plan, choisir un lot et se faire inscrire.
Le mardi 14 octobre à 14 heures, vingt-deux lots sont mis aux enchères publiques à l’hôtel de ville dans la salle des commissions (mise à prix 25 francs le m2). Seuls six lots, allant de 219 à 354 m2, trouvent preneurs. Peut-être l’humidité des lieux qui exige des fondations de cinq à sept mètres est-elle la cause de cet insuccès.
Le premier conseil municipal de l’année 1925 revient sur un point du cahier des charges de la vente des lots constructibles à la place de l’ancien vélodrome. Il y est spécifié que personne ne peut en acquérir deux. Or, leur surface restreinte ne permet pas à la fois la construction d’une maison, éventuellement d’un atelier, et la culture d’un jardin potager. La réunion de deux lots est écartée au profit de la réduction du nombre de lots pour en agrandir la surface. Une condition est toutefois ajoutée : par souci d’esthétique, de la rue, on ne devra voir que les maisons.
Les habitants du secteur se plaignent toujours de leur environnement. Ils doivent se pincer les narines à cause des eaux ménagères stagnant dans les caniveaux, des ordures déposées près du château d’eau du PLM. Des débris de ferraille, des ornières, une sorte de ruisseau qui traverse la chaussée, la mauvaise fréquentation de l’endroit à certaines heures, tout est repoussant.
L’adjudication des travaux de réalisation des nouvelles rues***, le 13 août suivant, à la mairie ne remporte pas le succès escompté. Un seul lot est attribué, celui des égouts, à Henri Loulergue. Aucune soumission n’est présentée pour les deux autres lots comprenant les canalisations d’eau, le terrassement, la fourniture de pierre pour chaussée et cylindrage qui reviennent à la mi-septembre après un deuxième appel d’offres à MM. Mathé et Messonnet.
Le samedi 17 juillet 1926, a lieu une autre vente (peu fructueuse) par adjudication dans le grand salon de l’hôtel de ville de terrains à bâtir, rue du Port et quai d’Allier, dépendants de l’ancien vélodrome. Ils sont répartis en six et huit lots allant de 175 à 262 m2. Trois mois après, le conseil municipal se rend à l’évidence qu’il convient d’autoriser l’acquisition de plusieurs lots par la même personne. Le délai de trois ans pour construire a été porté à cinq ans en septembre pour favoriser la vente.
Ce désintérêt tient-il aux constatations détaillées dans le Progrès de l’Allier du 15 avril 1927 qui ne rappelle que trop celles de mai 1922 ? on s’étonne de la lenteur à lotir ce quartier qui ne tient pas qu’au coût des matériaux. L’état dans lequel la municipalité maintient la rue du Vélodrome (actuelle rue Jean-Coulon) en rebuterait plus d’un et l’on souhaite bien du courage à qui voudrait s’y installer. Ce ne sont que débris de casseroles, vieux légumes momifiés ou pourris, pierrailles et immondices de toute espèce. Cet état des lieux sans concession n’a pas impressionné les autorités car, le 24, le journal doit à nouveau insister sur l’indignité d’une telle incurie de la part d’une ville qui se targue d’être coquette et d’avoir bon goût !
Malgré tout, en juin 1928, onze maisons ont déjà été édifiées sur le terrain de l’ancien vélodrome. La Société de crédit immobilier, qui a déménagé au 1 bis rue des Tanneries, a accordé dix-sept prêts pour la construction de maisons d’habitation à bon marché depuis le début de l’année. Elle continue à informer les candidats à la propriété sur les conditions favorables qu’elle peut leur offrir et sur le contrôle qu’elle exerce sur la conformité des plans.
A la fin de l’année, l’Office public d’habitations à bon marché, créé le 17 mars 1927, annonce la sortie de terre de trois maisons (une isolée et une double) dans l’angle nord du vélodrome et l’acquisition du dernier lot (965 m2) cédé par la ville à 10 francs le m2. L’OPHBM ouvre un concours établissant les critères suivants :
Quatre pièces dont une cuisine carrelée, un W.C., alimentation en eau et branchement à l’égout, cave sous la moitié environ du logement, quatre ventilations, grenier desservi par un escalier intérieur avec possibilité de mansarder une partie. Pièce principale d’une superficie minimum de 14 m2, les trois autres de 10 m2 chacune au moins. Hauteur sous plafond minimum de 2,90 mètres. Murs de 0,68 m d’épaisseur. Choix des matériaux libre. Le respect des exigences du service municipal d’hygiène et de la législation sur le HBM est impératif.
Les deux seuls architectes qui répondent sont moulinois. Joseph Baury a travaillé sur les plans d’une maison double (« Pourquoi pas ? ») et s’entoure des entreprises Messonnet et Verret. Pierre Mouret présente une maison simple (« Trois timbres ») dont Henri Loulergue sera chargé de l’édification. Les parquets seront en chêne, les cheminées et les papiers peints seront fournis par l’entrepreneur. L’eau arrivera à l’évier et dans les WC. La pose du gaz et de l’électricité sera à la charge des propriétaires. Prix forfaitaire de chaque maison : 32 750 francs.
Le public a le loisir d’examiner leurs maquettes dans la vitrine de l’agence Havas, place d’Allier, du 31 décembre 1928 au 14 janvier 1929.
Ces réalisations sont rendues possibles grâce aux lois Ribot (10 avril 1908) qui crée les sociétés de Crédit immobilier pour favoriser l'accession à la propriété des ouvriers et Loucheur (13 juillet 1928), ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, qui prévoit, pour favoriser l'habitation populaire, l'intervention financière de l'État et plus seulement les initiatives privées.
Louis Delallier
*Chiffonnier, ramasseur de peaux de lapins
**Taux 3,50 % ramené à 2,75 % pour les parents de six enfants, 3 % pour 5 enfants et 3,25 % pour quatre enfants.
*** La rue du Vélodrome (depuis le conseil municipal du 7 juillet 1896) devient rue Jean-Coulon - la rue Stéphane-Servant portait le nom de rue du Port (différente de la rue du Port actuelle) - les rues Achille-Allier et Louis-Ganne (dénomination en conseil municipal du 4 juin 1927) sont en partie construites de ces maisons HBM en 1925.
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