Le Conseil municipal réuni le 31 mai 1892 prend la décision de créer une usine de conserves à Moulins avec le soutien de La Société d’agriculture de l’Allier. L’annonce est fort bien accueillie, car cette implantation apportera des débouchés importants aux agriculteurs et des recrutements de main-d’œuvre prévus jusqu’à une centaine.
Il faudra encore plusieurs années avant que les choses n’avancent vraiment. En effet, ce n’est que le 10 août 1896 que le comité d’hygiène émet un avis favorable à la construction de l’usine avec les réserves suivantes :
Le bassin de décantation débouchera directement sur le ruisseau de l’allée des Soupirs. On n’utilisera à l’usine que les matières traitées à l’abattoir municipal. Aucune usine annexe pour les sous-produits ne sera construite sur le terrain sauf toutefois en ce qui concerne la boyauderie, le sang et généralement toutes les matières traitées à l’abattoir. Les eaux de l’usine seront désinfectées. La direction devra prendre toutes mesures nécessaires pour éviter les odeurs malsaines.
Une convention est enfin signée le 26 mars 1898. L’usine* donne son nom à la rue où elle est installée qui devient la rue des conserves (actuelle rue Léopold-Maupas) entre l’allée des Soupirs et l’avenue du Général de Gaulle. Le terrain de 20 000 m2 sur lequel elle sera bâtie comportera un autre accès par le cours de Bercy.
En décembre 1898, il est annoncé que, pendant les mois de janvier, février et mars 1899, l’usine fabriquera 75 000 kilos de viande de conserve dont elle a été déclarée adjudicataire et sera en mesure de s’atteler aux conserves de légumes dès le printemps. Les jardiniers et les maraîchers trouveront un débouché à leurs cultures et devront s’engager par contrat à cultiver des étendues de terrain dont les récoltes seront vendues et livrées dans les conditions stipulées par le directeur de l’usine. Les semences employées pour ces cultures seront fournies à ses frais par la Société des conserves ou au moyen de bons chez les marchands grainiers de Moulins. Une série de conférences sera organisée pour une meilleure information du public. Des conserves de petits pois, haricots verts, flageolets, tomates etc. sortiront également de l’usine.
La qualité des matières premières fait l’objet de contrôles stricts à commencer par leur origine. Les fournisseurs sont connus pour l’impeccabilité de leurs marchandises. Deux vétérinaires départementaux, qui travaillent pour l’abattoir municipal de la place aux Foires (actuelle place Jean-Moulin), sont chargés de détecter toute anomalie chez les animaux accueillis dans la bouverie pendant une semaine avant l’abatage. De plus, le vétérinaire-chef du régiment de cavalerie opère lui aussi une vérification. Il lui arrive de refuser des bêtes pourtant acceptées par ses collègues du civil. On lui donne toujours raison car l’armée est une cliente de premier ordre pour l’usine. Chaque après-midi, un officier d’administration intervient dans la surveillance de la fabrication des boîtes en examinant les marmites de cuisson, les paniers de viande, en observe les soudeurs, en vérifiant l’épaisseur du fer-blanc. Intendant et sous-intendant militaire peuvent venir à leur gré, sans prévenir, pour constater si la qualité et le soin sont bien respectés dans toutes les étapes de la mise en boîte. L’usine de Moulins est considérée comme un modèle en la matière. Elle va même plus loin que les exigences du cahier des charges.
En mars 1900, l’activité est toujours grande à l’usine de conserves qui vient d’obtenir du ministère de la guerre une adjudication de 50 000 boîtes nouvelles. De plus, elle est en pourparlers dans le but de travailler pour le compte du gouvernement boer en Afrique du sud. Le jeudi 8, les bouchers ont abattu et dépecé 20 bœufs et les ateliers ont produit 3 800 boîtes.
Une réclame parue dans le Courrier de l’Allier le 1er avril 1900 rappelle que la Société française de conserves, La Bourbonnaise, ne travaille pas que pour l’armée, mais aussi pour le commerce et qu’elle fabrique avec des matières premières de premier choix et avec les plus grands soins
des conserves de viande :
Pâtés bourbonnais truffés ou non/tripes à la mode de Caen/langues de bœuf/gâteaux de bœuf/filet de bœuf/consommé/volailles et gibier/graisse alimentaire/extrait de viande proche de celui inventé et commercialisé par le baron von Liebig en 1865.
des conserves de légumes :
asperges/petits pois verts ou naturels/haricots verts ou naturels/fonds d’artichauts/cèpes/épinards/oseille/petites carottes/tomates/macédoine etc.
On peut trouver ces produits chez tous les épiciers et marchands de comestibles à très bon marché.Un dépôt général de tous les produits de l’usine est ouvert le 1er juillet 1901 chez M. et Mme Brunat, 12 rue Datas au coin de la place d’Allier, face au marché couvert. La vente au détail se fait à prix fixes.
L’usine cesse de fonctionner en juin 1906. Les bâtiments et les terrains sont adjugés le 27 juin 1907 par la chambre des notaires à MM. Bernheim frères et fils, marchands de biens à Paris, pour la somme de 39 500 francs. L’usine devrait être détruite et une rue transversale devrait être tracée.
Louis Delallier
*construite par l'entreprise Baudron