Pierre est journalier à Moulins. À 48 ans, il préfère se dire malade et ne travaille guère. Le temps où il intervenait dans les réunions publiques pour faire rire la galerie est bien fini. L’été 1922 se termine et Pierre a récemment pris l’habitude de se faire héberger pour la nuit dans l’un des violons de la ville s’il y a de la place. Les policiers le connaissent bien et font preuve d’indulgence en lui ouvrant chaque soir la porte d’une de leurs cellules.
Mais, le mercredi 20 septembre, on lui refuse l’accès nocturne parce qu’il a la tête couverte de poux. Fâché de ce changement radical, il affirme que, si on ne veut pas de lui de bon gré, on le recevra de force. Aussitôt dit, aussitôt fait, il casse le réverbère à côté du commissariat avec un caillou volumineux.
Le stratagème fonctionne bien puisqu’il termine sa journée comme il le souhaitait, en prison. Cette dégradation de bien public lui vaut dès le lendemain une condamnation de 48 heures sous les verrous. Pierre s’exclame alors : « ah, ben v’là quequ’chose de bon, 48 heures ! Au bout de trois jours, je serai obligé de recommencer ».
Ce récidiviste en puissance me donne l’occasion de parler du premier pensionnaire du violon du bourg d’Yzeure.
L’histoire se passe en novembre 1900. L’après-midi du mardi 13, le garde-champêtre d’Yzeure, Monsieur Schmidt, est sur sa bicyclette dans le boulevard président (actuel boulevard Jean-Jaurès). Il ne peut pas ne pas voir quelqu’un couché sur le trottoir, ivre, qui insulte les passants. Pour Monsieur Schmidt, c’est une bonne raison pour « étrenner » son violon tout nouveau. L’ivrogne n’arrivant pas à marcher, Monsieur Schmidt n’hésite pas à s’adresser à un jeune jardinier yzeurien qui arrive en voiture à ce moment-là. Le buveur est assis tant bien que mal dans le véhicule pour être conduit en cellule. Il se trouve qu’il vient juste de sortir de la maison d’arrêt de Moulins après une peine de trois mois. Comme il avait 3,50 francs dans ses poches, il s’est chargé d’en faire bon usage dans les cafés sur son chemin. Cet homme de 70 ans qui se prénomme Jean est originaire de Linard dans la Creuse. Une fois remis en liberté, il déclare qu’il ne remettra plus les pieds à Yzeure.
Cette signification de violon remonterait à l’époque de Louis XI. On enfermait les pages, les valets au moment des audiences du Parlement parce qu’ils étaient trop bruyants. Pour les occuper pendant ces quelques heures, un violon était mis à leur disposition.
Louis Delallier