Le 12 mars, une boîte en fer-blanc hermétiquement fermée est trouvée dans la fontaine de la place d’Allier. On pense aussitôt à une bombe à renversement bien qu’aucune mèche ne soit visible. Le sous-brigadier Michelon n’hésite pas une seconde et, armé d’un ciseau et un marteau, il perce le couvercle de l’engin suspect. Heureusement pour lui, il ne s’agit que d’une boîte de petits pois, même pas périmés car ils sentent encore très bon.
Le 22 mars, vers 19h 30, un jeune homme aperçoit une boîte de sardines avec mèche sur les marches de la cathédrale. Il alerte le sacristain, monsieur Ronchaud, qui tout aussi courageusement que le policier, envoie promener la boîte sur la chaussée avec son pied. C’est une nouvelle fausse alerte car la boîte ne contient que du crottin de cheval et du sable.
Et le 1er avril, près de la droguerie de madame Vivarais, place d’Allier, c’est une marmite qui fait peur, une marmite oubliée par un paysan et ne renfermant, finalement, que du goudron.
Que se passe-t-il donc à Moulins ? Pourquoi réagit-on de façon aussi épidermique à la vue de la moindre boîte abandonnée sur le sol ? Il suffit de se rappeler le contexte des quelques années mouvementées qui viennent de passer pour comprendre l’état d’esprit fébrile des habitants.
Vers la fin du XIXe siècle, les anarchistes tentent de déstabiliser le pouvoir en place par des attentats ciblés en France et dans d’autres pays européens. Ils souhaitent ainsi faire prendre conscience au peuple de la nécessité d’aller vers plus d’égalité par la révolution. Guillaume 1er, empereur allemand, est victime de deux tentatives d’assassinat. En Russie, le tsar Alexandre II est tué à Saint-Pétersbourg le 13 mars 1881 par de jeunes anarchistes.
À partir du 11 mars 1892, Ravachol, anarchiste français, téléguide une série d’attentats qui se prolongeront jusqu’en 1894. A titre d’exemple : 9 décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe dans la tribune à la chambre des députés - 24 juin 1894, le président de la république française, Sadi Carnot, est assassiné à Lyon par un jeune anarchiste italien.
La population est inquiète et les hommes politiques les plus conservateurs demandent des mesures d’exception.
Trois lois sont votées, dites « lois scélérates » car considérées comme une censure et une répression. La première date du 12 décembre 1893. Elle modifie la loi de 1881 sur la liberté de la presse en punissant aussi la provocation indirecte comme l’apologie du terrorisme. La deuxième est votée le 18 décembre suivant. Elle permet, entre autres, l’inculpation de membres ou sympathisants de groupes anarchistes et encourage la délation. La troisième loi est votée le 28 juillet 1894 (abrogée le 23 décembre 1992). Elle interdit toute forme de propagande aux anarchistes et aboutit à des milliers de perquisitions et d'arrestations. Les actions violentes cessent progressivement.
Louis Delallier