Moulins avait son raccommodeur de faïence et de porcelaine qui tenait boutique sur un trottoir de la place d’Allier. Son matériel était peu encombrant : pince, burin, lime, ficelle, chutes de fil de fer, mastic, etc.
On le savait poète et capable de tenir des discours philosophiques abscons et trop longs quand il n’avait pas de travail en cours. Selon son bon vouloir, il se montrait accueillant ou maussade avec sa clientèle. Il expliquait lui-même ses sautes d’humeur par l’influence de la lune.
Il pouvait donc refuser la réparation demandée et partait faire un tour dans sa ville gardant sur lui sa blouse reconnaissable entre toutes. Malgré ce caractère difficile et imprévisible, les Moulinois venaient d’un peu partout pour faire reprendre des ustensiles de leur ménage. On ne jetait pas la vaisselle ébréchée ou fendue si on pouvait la faire réparer. Mais, cette activité irrégulière procurait peu de revenus à notre homme.
Les très jeunes avaient pris l’habitude de se moquer de lui. Généralement, il ne leur en tenait pas rigueur. Pourtant une fois, excédé, il en a plongé deux dans le bassin de la fontaine de la place d’Allier en guise de leçon. Ceux-ci seront reçus chez eux avec une correction supplémentaire pour les empêcher de recommencer.
Le samedi 1er août 1914, en entendant le tocsin annonciateur de la déclaration de la guerre, l’ancien officier supérieur que le raccommodeur de faïence était a pleuré parce que ses « petits gars » allaient partir sans lui.
Louis Delallier