Au n° 40 de la rue de la Fraternité (numéro différent de nos jours), l’une des rues considérées alors comme l’une des plus pauvres de Moulins, est établi un chiffonnier du nom de Verdier. C’est un Auvergnat qui ne ménage pas sa peine pour trouver de la marchandise à revendre. Il l’achète au poids et la transporte dans son dépôt où un employé classe et décide des prix.
Il ne fait pas d’efforts en revanche pour signaler son commerce : une façade négligée où l’on aperçoit encore quelques traces de peinture, pas d’enseigne pour attirer la clientèle qui, pourtant, ne manque pas. Des fonctionnaires, des ecclésiastiques, des bourgeois respectables, tous taciturnes et recueillis, passent la porte espérant dénicher des raretés dans le médiocre bric-à-brac accumulé depuis des années.
Dans une petite cour, c’est un entassement de brancards de voitures à cheval, de tuyaux de poêle, de malles éventrées, de pierre tombales endommagées, de tournebroches bloqués, de casseroles sans queue, d’étrilles sans dents, de fourneaux économiques au rebut, de marteaux, de grilles rouillées, de serrures de toutes les époques, de chenets dépareillés, de moitiés de pincettes, de chaînes d’arpenteur, de fragments d’armure. Il y a même une énorme chaudière d’alambic qui a fait son temps.
Peut-être l’objet de valeur se trouvera-t-il dans la « bibliothèque » installée dans une petite remise. Il ne reste qu’à faire abstraction des sacs de chiffons et de guano du Pérou, des harnais, du fusil à pierre, des tiges de botte et se pencher sur l’imposante table recouverte de livres dans tous les états de conservation. Parmi eux en cette fin du mois de mars 1887, les œuvres complètes de Saint-Augustin, en français dans une édition de 1564 (Sancti Aurelii Augustini opera omnia), et une autre avec gravures éditée à Anvers en 1700, un ouvrage de Saint Jean Chrysostome (Paris 1614), de Machiavel datant de 1560, un dictionnaire des cas de conscience (Lemercier Paris 1700), un dictionnaire (Rotterdam 1644) et surtout « Coutumes générales et locales du Bourbonnais » avec un commentaire par Messire Mathieu Auroux des Pommiers, docteur en théologie, conseiller-clerc en la sénéchaussée du Bourbonnais et siège présidial de Moulins imprimé à Riom, chez Martin Degoutte.
Aller à la pêche de la perle rare au milieu d’un fatras indescriptible reste une affaire de passion et de patience.
Louis Delallier