Cette journée du mardi 28 mai 1935 s’achève dans le calme. Des habitués du Grand Café, place d’Allier, y prolongent agréablement la soirée. Vers 23h 30, ils s’apprêtent à regagner leur domicile et les serveurs comptent bien faire de même dès que possible. C’est à ce moment-là que tous entendent deux hommes saouls ameuter les riverains en soufflant dans des cornes de vachers.
Non contents de faire du vacarme, les voilà qui font irruption dans le café pour continuer à boire. Ils sont mis à la porte séance tenante. Mais l’un des deux prend à partie Paul Taque, 34 ans, garçon de café, bien connu de tous pour son affabilité. Il lui affirme avec véhémence que c’est lui qui a battu son copain à coups de chaise. Cette histoire vieille de plusieurs semaines n’a rien à voir avec Paul Taque même si elle mettait aux prises un clochard et un garçon de café, monsieur Bagnolet, qui avait dû se protéger des coups reçus avec une chaise.
Paul Taque, projeté à terre par de violents coups de pied et de poing, se relève et tente de se défendre ce qui déclenche la colère du deuxième individu qui lui porte aussitôt deux coups de couteau dans le dos. André Dubois, serveur au café Taque (frère de la victime), place du théâtre, arrive à la rescousse et reçoit lui aussi deux coups de couteau. La police, dont l’agent Bouculat de service à l’Artistic, prévenue par Madame Marcellot, patronne du Grand Café, arrête l’un des agresseurs. Le surineur en profite pour s’enfuir par la rue des Bouchers avant, apprendra-t-on plus tard, de récupérer sa bicyclette route de Lyon.
Le docteur Monceau fait transporter les deux blessés dans sa clinique. André Dubois, superficiellement blessé, rentre chez lui en fin de matinée. Paul Taque, gravement atteint au poumon, ne reprendra son travail qu’après deux mois de convalescence à son domicile chemin de halage à la Madeleine.
Jean, 33 ans, conduit au poste juste après le drame, est manœuvre et SDF à Moulins (habitant ordinairement à Clermont). Roger, 30 ans, dans la même situation peu enviable, est arrêté en Suisse. Le vendredi 22 novembre, ils sont jugés conjointement au tribunal à Moulins devant une assistance nombreuse. Des témoins sont appelés à la barre : le couple Dubois, M. Veyssière, contrôleur des Contributions indirectes, M. Boury, garçon de café au Café de paris et un client qui était ce soir-là à la terrasse du Café de France. Tous ont vu Roger Jasselier frapper les deux garçons du Grand Café par derrière.
Le responsable des coups de couteau, défendu par l’avocat Jeandet, se montre arrogant et avance des justifications oiseuses auprès du président du tribunal, monsieur Mallet. Déjà interdit de séjour dans le Puy-de-Dôme, il écope de 5 ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour. Son frère est condamné à deux ans de prison.
Paul Taque n’en a pas fini avec le hasard malheureux. Le samedi 1er janvier 1944, dans Moulins occupé, les gendarmes de Moulins conduisent à leur brigade de la rue Regnaudin les deux Espagnols (Julian 27 et Antonio 24 ans), soupçonnés de vols de bicyclettes, qu’ils viennent d’intercepter. Il est 10h 20 précisément lorsque, place aux Foires (place Jean Moulin actuelle), l’un d’eux refuse d’avancer et sort son révolver pour tirer sur les gendarmes qu’il rate. Mais les balles ne sont pas perdues pour tout le monde. Elles atteignent Paul et Henri Taque qui se rendent chez leur mère rue de la Fraternité, probablement pour lui souhaiter une bonne année. Henri, concierge rue Voltaire, en sera quitte pour une manche de manteau transpercée alors que son frère Paul aura l’humérus gauche touché. Les gendarmes tirent à leur tour sur l’incontrôlable Espagnol parti au pas de course. Ils le blessent grièvement.
Tout le monde est transporté au rez-de-chaussée du pavillon Calmette de l’hôpital général. Paul Taque est transféré à la clinique Pénard, rue des Tanneries, dans la journée du lendemain, pour radiographie avant extraction de la balle. Le coupable lui envoie un prêtre pour solliciter son pardon. Paul Taque accepte avec beaucoup de magnanimité.
Louis Delallier