Dimanche 30 août 1908, vers 15 heures. Le temps est tiède et ensoleillé. Les Moulinois se promènent à pied. Certains traversent le pont Régemortes sans but précis si ce n’est admirer la vue large sur l’Allier.
Mais aucun ne s’attend à se trouver spectateur d’une scénette de théâtre improvisée où l’absurde concurrence la drôlerie. Peut-être les acteurs sont-ils même talentueux.
Derrière la vedette d’octroi, sans doute celle à l’entrée du pont côté Madeleine, un groupe de sans domicile fixe constitué de cinq hommes et deux femmes de tous âges, loqueteux et passablement enivrés, décide de rompre la monotonie de leur journée en reconstituant une comparution au tribunal.
Les rôles sont bien vite distribués. Le doyen, arborant barbe et favoris, sera un président plus vrai que nature. Il faut un accusé, un avocat et un jury.
Le chef d’inculpation s’impose sans discussion aucune : ivresse sur la voie publique !
La petite troupe est spécialiste en la matière car tous ont déjà eu affaire à la justice pour un délit similaire. Les débats réglementaires n’ont aucun secret pour eux.
Le prévenu se défend maladroitement alors que l’avocat plaide avec tant de fougue qu’il s’émeut lui-même. Le président du tribunal sermonne l’ivrogne avec une bonhommie toute paternelle, voire confraternelle.
Le verdict tombe : le coupable paiera un litre de rouge. Seulement il est raide comme la justice... Sans barguigner, ses acolytes se cotisent pour réunir les douze sous nécessaires à l’achat. Le président, grand ordonnateur, demande à Mélanie de s’en charger. Mais Mélanie, une fois debout, n’avance pas droit. Le président lui intime de prendre une voiture. Et Mélanie s’exécute. En prenant appui sur une poussette d’enfant (de son enfant ?) où elle a déposé la bouteille vide, elle parvient à aller jusqu’au café le plus proche et à en revenir avec le précieux breuvage qu’on se partage avec bonheur !
Louis Delallier