Ecoutez ce léger bruit
Qui vient, s’en va, recommence,
Et qui trouble le silence,
Le silence de la nuit.
Ce sont nos deux vieilles tours,
Jacquemart et Mal-Coiffée,
Et c’est le dernier trophée
Qui reste des anciens jours.
Ecoutez donc dans le vent
Ce que disent nos deux vieilles ;
Allons, tendez vos oreilles,
Elles parlent peu souvent.
(Autour de Jacquemart, extrait)
Ces vers nostalgiques ont été inspirés à Henry Baguet par sa ville natale. Ses parents, Jean, tailleur, et Marie, modiste, vivent rue d’Allier au moment de sa naissance, le 22 mai 1882. Six frères et sœurs suivront. Son père n’hésitera pas, après la mobilisation d’août 1914, à s’engager malgré ses 61 ans pour préserver l’honneur de la patrie (voir mon article à son sujet).
Henri, attiré par le monde littéraire, ouvre sa librairie de livres d’occasion, 15 rue François-Péron, en 1906. La même année, il réussit à faire paraître chez Crépin-Leblond, éditeur moulinois, « Autour de Jacquemart, Chansons et monologues moulinois suivis de Dans la purée* et d'un glossaire argotique», le tout illustré par un autre moulinois, Louis Galfione.
Philippe Tiersonnier, érudit moulinois, présente l’ouvrage dans le bulletin de la société d'émulation du Bourbonnais en 1907 avec cette restriction : « Mais en vérité pourquoi avoir chanté Moulins en un langage qu'on ne connaît guère autour de Jacquemart ? », référence à l’argot trop utilisé à son avis.
« Dans la purée » réunit 19 poèmes consacrés aux miséreux de tout poil dont il se fait le chantre comme dans la « Chanson des Gueux » dédiée à tous les mendigots, les soûlauds, les béquillards.
Géraud Lavergne**, dans ses souvenirs d’enfance, fait une description peu flatteuse du libraire en mal de succès littéraires : « Sur un corps malingre, une face de carême, une expression dolente accentuée encore par des yeux battus et des joues creuses, des lèvres pâles, Henry Baguet offrait au client de passage un sourire de chien battu : dèche mousse, purée mistoufle, déveine. »
Quelques-unes des poésies d’Henri Baguet magnifiant le chapeau bourbonnais ou de simples phrases humoristiques en rapport avec la paysannerie bourbonnaise sont reproduites sur des cartes postales qu’il édite lui-même en sa qualité de libraire.
Plus élaborées, « Les Brelauderies d'un paysan, monologues réalistes et sociaux, 1ère série, Le mauvais riche » paraissent le 1er janvier 1910.
Cette année-là, sans doute avec l’espoir de faire carrière, il s'installe à Paris comme bouquiniste quai des Grands Augustins en face de la rue Séguier. Géraud Lavergne le retrouve par hasard devant son stand : « Il avait toujours le même air minable et même le malheureux sourire ».
Henri a transformé le I, peut-être trop provincial, de son prénom en un Y plus flamboyant. Il continue à écrire et publie « Une maîtresse du roi Soleil en Bourbonnais. Madame de Montespan à Bourbon-l’Archambault » en 1914 aux Cahiers du Centre à Moulins.
Le 8 janvier 1918, lorsqu’il épouse Marie Mussier à Paris, il est employé de bureau au Journal officiel et domicilié 19 rue Cujas dans le 5e arrondissement. Marie, bourbonnaise comme lui, née à Bayet, est employée de commerce et vit 17 rue Grégoire de Tours dans le 6e. L’un des témoins des épousailles est Jean, l’un des frères d’Henry, employé de commerce à Moulins.
Parallèlement à son travail salarié, il reste bouquiniste car c’est la profession qui figure dans son acte de décès le 11 août 1944, au 155 rue Lecourbe dans le 15e arrondissement. Un autre livre est paru en 1923 :
La Société du temps passé aux Bains de Bourbon-l'Archambault. 1re série. Le Fameux médecin Charles Delorme, rénovateur des eaux de Bourbon. Le Régime des eaux. Madame de Sévigné. M. de Talleyrand. Le Poète Scarron. Daniel Huet.
Pour terminer, voici son « Poème télégraphique », extrait de « Autour de Jacquemart », texte sans prétention, un rien moqueur :
Pat’lin,
Moulins ?
La ville
Tranquille !
Plaisant
Néant.
Exerce
Commerce
dolent
Et lent :
Tann’ries,
Brass’ries…
Tout ça ?...
Oui-da !
Ignore
Encore
Le tram,
L’tam-tam,
Ballades ?
Prom’nades
Des cours
Toujours !
Le square
D’la gare.
Et puis
Assis,
Banville :
Pas d’bile,
Malin !
Bassin
Des cygnes
Fort dignes ;
Jet d’eau
Très beau !
Louis Delallier
* Un poème portraitise P’tit Louis, sujet de l’un de mes articles.
**Archiviste-paléographe (promotion 1908), Géraud Lavergne (1883-1965) fut archiviste de la Dordogne, du Loiret, des Bouches-du-Rhône, secrétaire général de la Société historique et archéologique du Périgord et auteur de nombreux ouvrages de référence.