La troisième session des assises de l’Allier de 1919 se tient au tribunal de Moulins, rue de Paris, du 21 au 24 juillet pour juger six affaires. Monsieur Grenier, conseiller à la cour de Riom, préside. Il est assisté de monsieur Sauty, président du tribunal de Moulins.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, la cour revient sur la session précédente en annulant l’amende de 200 francs qu’elle avait prononcée contre Mathieu Berthomier de Chantelle, juré, au motif que son certificat médical attestant sa maladie n’était pas arrivé dans les temps. Le certificat avait bien été envoyé, mais au procureur général à Riom.
Pour la session présente, quatre jurés titulaires sont dûment excusés grâce à leurs certificats médicaux : messieurs Louis Durand, propriétaire et maire de Châtillon, Gilbert Guillot, sabotier à Ainay-le-Château, Auguste Jolion, employé à Montluçon, et Jean Richer, épicier à Varennes. Claude Bouchant, juré suppléant, agent d’assurances à Moulins, est dans le même cas.
En revanche, Jean Paput, maître d’hôtel à Ferrières, Joseph Laurent, propriétaire à Lavoine et Jean-Julien James, cultivateur à Poëzat, sont condamnés à 200 francs d’amende pour absence injustifiée. Pourtant les télégrammes qu’ils viennent de faire parvenir expliquent qu’ils sont « en panne » à la gare de Saint-Germain-des-Fossés et n’arriveront que dans l’après-midi. Victor Gamet, propriétaire à Mariol, dont la cour n’a pas de nouvelles reçoit une amende équivalente.
La première affaire traite du vol de plumes d’autruche, scie, porte-manteau, par une cuisinière au service d’un médecin de Vichy.
[Ministère public, monsieur Mallet, procureur de la République et avocat de la défense, Maître Raoul Henry du barreau de Cusset].
Un seul témoin à charge est présent, le commissaire de police de Vichy, Alfonsi. Les époux plaignants qui vivent depuis à Marseille n’ont pas été prévenus à temps. Seulement deux des témoins à décharge sont là également. Trois autres témoins, à décharge et à charge, font partie du groupe coincé à la gare de Saint-Germain à cause du changement d’horaires récent. L’affaire est par conséquent renvoyée à la session d’octobre*. L’accusée est laissée en liberté provisoire. Il est 14h 30. C’est à ce moment-là que les jurés partent de Saint-Germain pour Moulins où ils auront la mauvaise surprise de devoir rebrousser chemin car la journée d’audience est terminée.
Le lendemain, un retraité de Chantelle doit répondre de l’accusation d’envoi d’une lettre anonyme en novembre 1917. Un expert a reconnu son écriture dans ce courrier dénonçant un habitant de Monestier pour s’être soustrait à ses obligations militaires.
[Ministère public, monsieur Pagenel, substitut, et Maître Raoul Henry avocat de la défense]. Après le défilé des témoins à la barre, l’avocat de la défense affirme l’irrégularité d’une seule expertise. Il cite une phrase célèbre du baron Jean Martin de Laubardemont, magistrat : « Qu'on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j'y trouverai de quoi le faire pendre. ». L’acquittement est prononcé.
La troisième affaire concerne deux marchands forains qui ont volé des chevaux à Nolay en Côte-d’Or et à La Clayette en Saône-et-Loire, chevaux retrouvés avec une voiture à Vichy dans un hôtel.
[Ministère public monsieur Mallet, procureur de la République et Maître Raoul Henry avocat de la défense].
L’un des deux ne nie pas et répond avec aplomb aux questions. Il écope de trois ans de prison et son complice d’un an.
Au moment où commence la quatrième affaire, arrive un groupe de jeunes filles candidates au brevet élémentaire à Moulins, venues s’instruire au tribunal ! Il paraît qu’on entendra leurs rires de temps à autre. Il faut dire que le sujet n’est pas tragique même s’il est émouvant. Un cultivateur s’est marié en 1901 à Cazouls-lès-Béziers. Il a eu deux enfants (17 et 13 ans à ce jour) avant d’être mobilisé en 1915. Evacué début 1917 à Vichy à la suite de l’inhalation de gaz asphyxiants, il y fait une belle rencontre et s’y marie en juillet. C’est à la retranscription de cet acte dans les registres de sa commune que son premier mariage a été découvert en marge de son acte de naissance. Pour son procès, il arbore sa croix de guerre et son insigne des blessés. Il a beaucoup à se plaindre de la conduite de sa première femme : elle est dépensière, ne s’est pas déplacée lorsqu’il a eu un accident en 1912, ne lui a rien envoyé sur le front, etc. Les deux épouses témoignent. La seconde explique que c’est elle qui a proposé à l’accusé de l’épouser et précise : « Je n’ai qu’à en faire des compliments » […] « Je l’ai remonté à force de soins, mais souvent il n’est pas à lui. » Elle porte un enfant de 7 mois dans les bras et fait très bonne impression.
Certaines des jeunes auditrices prennent le bébé sur leurs genoux pour jouer avec lui.
Le ministère public en la personne de monsieur Pagenel expose les conséquences légales de ces deux mariages sur les successions à venir et la situation de l’enfant dernier né qui devient adultérin. Il en profite pour ajouter une formule bien connue à l’époque : « Un mari bigame devrait être coupé en deux et chacune des moitiés remises à chacune de ses femmes. » Maître Raoul Henry défend son client de tout son cœur. C’est un ancien combattant, abimé par la guerre, honnête et travailleur. Le verdict sera de deux ans de prison avec sursis. Le cultivateur embrasse son fils avant d’aller récupérer ses affaires à la prison.
La cinquième affaire est autrement plus grave. Il s’agit d’un assassinat commis de sang-froid par deux hommes de passage à Montbeugny. Ayant demandé l’hospitalité dans une ferme, ils sont reçus à la table familiale. Après dîner, ils sont conduits dans la grange pour la nuit par le fermier qu’ils abattent d’un coup de révolver. Retournant dans la maison pour voler, ils tirent sur sa femme et sa fille qui réussit à s’enfuir, son enfant dans les bras. Deux très jeunes domestiques entendant les détonations restent cachés dans leurs lits tandis qu’une autre domestique est exécutée dans la cuisine. Le fermier se remettra de sa blessure contrairement à son épouse qui meure à l’hôpital. Les deux prévenus sont belges. Un seul sera jugé en France car l’autre, arrêté en Belgique, ne peut l’être que par un tribunal belge. Il est présent à Moulins comme témoin. Un interprète est désigné.
[Ministère public, monsieur Mallet, procureur de la République, Maîtres Boussac et Monicat, avocats de la défense].
Les deux hommes s’accusent mutuellement durant tout l’interrogatoire. Maître Boussac axe sa défense sur une différence notable entre la France et la Belgique : la non-application de la peine de mort en Belgique. Son client, sous l’emprise de son dangereux compatriote, risque donc une peine plus lourde. Maître Monicat lui emboîte le pas dès la reprise de l’audience après déjeuner. Il dispense une critique de la peine de mort assurant qu’elle est terrible et irréparable. « Combien de magistrats ou de jurés ont-ils eu leurs nuits troublées par la vue d’un cadavre leur criant : pourquoi m’as-tu fait cadavre ? ». Puis, il insiste sur l’absence de certitudes et la crainte que le deuxième homme soit acquitté par un tribunal belge qui aura considéré que le coupable a déjà été puni en France. Son client pleure. Il échappera au pire avec un verdict de quinze ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour.
La dernière affaire requiert monsieur Mallet, procureur de la République, monsieur Pagenel pour le ministère public et maître Duceau pour la défense. Il s’agit d’un infanticide qui se conclut par un acquittement.
Une quête pour les œuvres d’assistance est effectuée parmi les jurés et rapporte 26 francs
*La cuisinière sera acquittée.