La direction de l’atelier de chargement* a consenti à installer une crèche et une garderie pour les enfants de ses employés, surtout parce que cela favorise le recrutement d’ouvrières. Comme ces facilités accordées à son personnel ont un coût, pourquoi ne pas faire appel à la générosité de la population locale par le biais d’une revue musicale ?
C’est ainsi que deux soirées de bienfaisance patriotique se déroulent au théâtre municipal les samedi 18 et dimanche 19 novembre 1916 à 20h 30. Deux parties d’une grande qualité artistique composent ces soirées de gala qui font salle comble les deux fois.
L’orchestre de 35 musiciens civils et militaires, tous artistes, dirigé par Victor Alix**, chef d’orchestre aux Folies-dramatiques de Paris, joue brillamment et avec délicatesse les morceaux choisis dont un écrit par une jeune femme qui tient à garder l’anonymat.
Les 15 tableaux de la revue*** « Des canons, des munitions ! » et l’apothéose sont joués avec professionnalisme et entrain. Il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu ça ! Les auteurs, les musiciens, les diseurs et diseuses, les acrobates, les danseurs et danseuses sont chaleureusement applaudis et remerciés. A la fin du premier tableau, les spectateurs sont fortement remués à l’évocation de l’Alsace et de la Lorraine et à l’écoute des vers déclamés par une élégante commère.
Elle est vêtue selon les critères de la mode de cette époque : manteau de loutre et parure en putois véritable, chapeau-turban garni de tulle soutaché d’or et surmonté d’une aigrette, le tout provenant des « Nouvelles Galeries ».
Les danses, dont une amusante bourrée, régalent le public qui admire les décors et les jeux de lumière ponctuant ingénieusement le programme. Rien n’a été laissé au hasard d’où un enthousiasme débordant au moment de l’apothéose. En effet, la volonté de revanche n'a pas faibli malgré plus de deux ans de conflit déjà, malgré des pertes humaines considérables, malgré les blessés qui arrivent ou passent à Moulins par wagons.
La recette est à la hauteur des attentes des organisateurs qui louaient loges et fauteuils à 4 francs, galeries et baignoires à 3 francs, stalles à 2,50 francs, pourtour à 2 francs, parterre à 2 francs, secondes à 1 franc et troisièmes à 0,75 franc.
Le Progrès de l’Allier publie une relation détaillée tandis que le Courrier de l’Allier se contente de quelques lignes. Il rappelle qu’il s’est engagé à ne publier aucun compte rendu de théâtre pendant la durée des hostilités et précise que cela lui coûte compte tenu du niveau exceptionnel de ce spectacle.
Louis Delallier
*Voir mes articles à son sujet (accident d’avril 1917 et explosion de février 1918)
** Compositeur de nombreuses pièces et chef d’orchestre bien connu à cette époque, né à Cherbourg en février 1886 et mort à Nevers en novembre 1968)
***Les marraines/le petit tramway/la monnaie/mariage par procuration/l’ouvrier d’usine/défilé des obus/les stratèges/les zeppelins/la vie chère/danse des girl’s/danse de l’aviation/la bourrée/la flotte allemande/les réclames/forêt de l’Argonne