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Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

La pythonisse et la fermière bourbonnaise

Publié le 20 Février 2022 par Louisdelallier in Faits divers

Le Courrier de l'Allier du 31 décembre 1907

Le Courrier de l'Allier du 31 décembre 1907

Marie-Louise habite au domaine de la Justice à Lusigny avec son mari Jean et sa fille Juliette, 5 ans, dont la santé lui cause bien du souci. En désespoir de cause, elle décide de consulter Mme Mercédès dont elle a eu le prospectus entre les mains.

Mme Mercédès s’est installée à Moulins, au 2e étage du restaurant Pétot, 4 rue Paul-Bert, pendant tout le mois de décembre 1907. Elle a fait paraître une publicité quasi quotidienne dans la presse locale. Mme Mercédès est une vraie voyante qui traite par le sommeil magnétique. Elle se présente aussi comme une cartomancienne de 1er ordre, membre de plusieurs sociétés savantes, diplômée de l’Institut magnétique. Chaque jour, de 8 heures à 20 heures, elle traite des affaires de famille, de commerce, procès, mariages et héritages, le tout à prix modiques naturellement.

Des recherches dans la presse nationale montrent que Mme Mercédès n’est pas une nouvelle venue dans la « profession ». En octobre 1894, la Petite Gironde informe ses lecteurs que Mme Mercédès, médium spirite de Buenos-Aires, consulte pour tout à Bordeaux, cours Saint-Louis. La même exerce toujours en décembre 1902, rue Sauteyron à Bordeaux.

Marie-Louise, qui n’a d’autre idée que de venir enfin en aide à sa fillette, s’acquitte de 26 francs pour une première entrevue. Elle devra revenir avec 1 000 francs pour parfaire le traitement qui comprend une abjuration entraînant la guérison complète de Juliette. Le lundi 30 décembre, la jeune maman apporte l’argent mêlé à un peu de terre de son jardin dans un mouchoir comme demandé. La guérisseuse s’engage à rapporter la somme à la ferme le jeudi suivant, à midi. Mais à 13 heures, personne. Marie-Louise, inquiète, prend la route pour Moulins, soit environ 7 km à parcourir en plein hiver.

Au restaurant, le patron lui apprend que Mme Mercédès a filé vers Nevers avec la femme qu’elle fait passer pour sa domestique. L’enquête diligentée détermine que les deux femmes parlaient entre elles en allemand et qu’elles venaient de Bordeaux. Mercédès, de 34 à 36 ans, a un visage allongé au teint mat, des cheveux et sourcils grisonnants, un nez long et fort, des yeux enfoncés très noirs et une forte corpulence. Vêtue d’un tablier et d’un manteau noirs, elle porte un chapeau à plume noire et arbore, en guise de broche, une pièce de 40 francs en or. La prétendue domestique, âgée de 40 à 45 ans, est mince, a le teint jaunâtre et des cheveux blond foncé. Elle est également habillée de noir et coiffée d’un canotier gris foncé. A ce stade, seule la logeuse est verbalisée pour ne pas avoir inscrit les deux locataires sur son registre comme la loi l’y oblige.

La police moulinoise ne lâche pas l’affaire et lance un mandat d’arrêt contre le duo qui a escroqué plusieurs personnes à Moulins.

A Nantes, au mois de janvier suivant, une tireuse de cartes extralucide et somnambule, probablement pas une homonyme, se disant gitane également, fait des ravages. Elle affirme à une mère qu’elle est capable de retirer le sort jeté à son fils contre quelques belles sommes d’argent indispensables à ses invocations et ses démarches. Une fois payée, elle disparaît sans crier gare.

En août, les choses se gâtent pour Mme Mercédès. L’inspecteur Sulzbach de la Sureté nationale mandaté par le parquet de Moulins s’intéresse de près à la diseuse de bonne aventure qui, sous prétexte de prédire l’avenir dans le marc de café à une artiste autrichienne de passage à Paris, lui a dérobé bijoux et autres valeurs. Il se rend dans sa baraque dans la zone militaire d’Aubervilliers. Seulement, il n’arrive pas à lui parler car elle est alitée, terrassée par la maladie… L’inspecteur Blot, appelé à la rescousse, prend l’avis d’un médecin et parvient à arrêter la suspecte qui reconnaît ses agissements devant le juge. Elle se nomme Antoinette Baptiste, ce qui est moins porteur que Mercédès pour monnayer des dons aussi efficaces que rares ! Elle est originaire de Perpignan et a 35 ans.

Sa condamnation au début du mois de septembre 1908 par la 9e chambre correctionnelle de Paris à 13 mois de prison n’est qu’une péripétie dans sa carrière. En effet, en octobre 1915, elle comparaît devant la 8e chambre correctionnelle de Paris. Plus de 40 victimes ont porté plainte contre elle. Comme on ne se refait pas, en mai 1917, on la retrouve au tribunal correctionnel de Toulouse pour avoir soutiré, à un métayer de Montastruc, un franc par jour pendant 29 jours afin de se concentrer sur la santé de son cochon et de sa vache.

Une autre Antoinette Baptiste (impossible d’établir un lien entre les deux), dite la gitane, sévit des décennies après. Coïncidence, filiation ? En novembre 1949, cette femme est jugée, une énième fois, pour une escroquerie qu’on peut qualifier d’inédite. Contre 600 000 francs belges et 100 000 francs français, elle a promis à une jeune femme de faire dérailler le train où voyageait son vieux mari... Cette Antoinette-là est mère de deux grandes filles auxquelles elle a fait donner une éducation religieuse stricte. Un moyen pour rester dans le droit chemin ?

 

Louis Delallier

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