Le professeur Belin de Montpellier est dans nos murs en ce mois de septembre 1910. Les informations le concernant sont rares. En janvier 1898, il est présenté comme un maître de la prestidigitation, un virtuose en imitation capable de reproduire le son d’une salve de coups de fusils, le grondement d’un canon ou l’arrivée d’un train. On dit qu’il excelle dans le domaine de la perception et de la transmission de la pensée et qu’il pratique le cumberlandisme*.
Quelques années plus tard, c’est un tout autre spectacle qu’il offre à la population. Partout où il passe, l’étonnement est le même lorsque s’envolent ses ballons de 8 à 10 mètres de circonférence. Ils sont de sa fabrication en papier parcheminé et gonflés d’air chaud au moyen d’un tampon imbibé de pétrole allumé. Le professeur Belin de Montpellier, qui se dit aussi des salons royaux de Bruxelles demande un droit de place et se procure des revenus grâce à des tombolas en marge de ses spectacles aériens.
Ainsi, le dimanche 4 septembre après-midi, il lâche six montgolfières dont il a soigneusement choisi les points de départ :
Place de la gare (14 heures)
Place de la Liberté (15 heures)
Place du Jeu-de-Paume (16 heures)
Angle rues de Pont et des Minimes (17 heures)
Place Achille-Roche (18 heures)
Place d’Allier (18h 45).
Malgré le vent et les fils télégraphiques qui retiennent un temps un des engins volants, l’ascension se déroule comme attendu sous le regard attentif d’une foule nombreuse. Le succès est tel que M. Belin propose de reproduire l’évènement le dimanche 11 ou le 18 si le temps est mauvais. Les lieux retenus sont :
Église Saint-Pierre (14 heures)
Place aux foires (15 heures)
Place de l’Hôtel-de-Ville (16 heures)
Boulevard Choisy près de chez Fournier jeune, tapissier (17 heures)
Près de l’hôtel de Paris (17 heures 30)
Place Cortet (18 heures).
Toutes les prestations de « l’impresario-forain » ne se déroulent pas aussi sereinement. En août 1905, à Buironfosse dans l’Aisne, sa 3e montgolfière, poussée par le vent, s’échoue sur le clocher de l’église. Si le ballon en papier se consume rapidement, il n’en est pas de même pour l’étoupe imbibée de pétrole qui continue de brûler dans la gouttière. Les flammes atteignent la charpente de la flèche et l’embrasent. Les ardoises et les poutres rougies s’écrasent une à une sur le sol. Les forains n’ont d’autre solution que de déplacer immédiatement et tant bien que mal leurs baraques. L’église est en feu, les pompes à eau manquent. Cloches, orgues, tableaux de maître, chaires, confessionnaux sculptés, statues, vitraux, peintures intérieures sont irrémédiablement perdus. Il ne restera que les murs. Le professeur Belin qu’on juge coupable d’imprévoyance est gardé à vue à la mairie, où se trouve le bureau de police. Les suites seront judiciaires entre la commune et la compagnie d’assurance qui refuse de l’indemniser considérant que le maire a manqué de prudence en autorisant ce type de distraction aérostatique et n’a pas mis tout en œuvre pour circonscrire l’incendie. Le jugement du tribunal de Vervins paru dans l’Argus du 7 octobre 1906 déclare « la Compagnie d’assurances La Métropole non recevable et mal fondée en sa demande ; l’en déboute et la condamne aux dépens. »
Louis Delallier
* Du nom du mentaliste Stuart Cumberland, inventeur de cette méthode basée sur la lecture micro-musculaire et l’interprétation des micro-mouvements musculaires.