D’un côté messager des beaux jours et, de l’autre, précurseur de la saison froide, ces deux métiers saisonniers sont bien connus à Moulins comme dans toutes les villes de moyenne ou plus grande importance.
Le retour du chevrier* est annoncé au printemps par la presse dans des termes à peu près équivalents chaque année. C’est un chevrier pyrénéen (quelquefois faussement qualifié de basque à cause de son béret) qui arrive à Moulins par le train la plupart du temps avec son troupeau et son chien à la fin du mois de mars. En 1908, il est question de voyage pédestre par petites étapes de 20 à 25 km, mais en 1912 on parle de trains entiers provenant des environs de Lourdes vers l’Auvergne d’où le chemin se poursuit à pied en direction de la ville désignée à chacun. Le séjour dure jusqu’en septembre.
Le chevrier, coiffé d’un béret, vêtu parfois d’une petite blouse, déambule dans les rues, poussant son troupeau à l’aide d’un fouet. Il porte un parapluie en bandoulière lorsque le temps est incertain. Matin et soir, on entend le son perçant de son pipeau qui avertit les amateurs de lait de chèvre considéré comme réparateur pour les estomacs délicats et meilleur que le lait de vache. L’homme joue des airs rustiques qu’on lui reproche d’écorcher de temps en temps, voire de remplacer au début du XXe siècle par un impertinent Viens Poupoule ! venant tout droit des cafés-concerts. Il a fort à faire avec son troupeau au caractère indépendant auquel il donne des ordres dans son patois béarnais. Les chèvres apprécient qu’on leur tende un morceau de pain ou des feuilles chou et savent, cornes en avant, chasser les chiens trop hargneux.
Les habitués, souvent des jeunes mères et leurs enfants, sortent sur le pas de leur porte avec une tasse, une écuelle, une soupière. Le chevrier choisit une chèvre qui n’a pas encore donné de lait pour les servir. L’après-midi, il conduit son troupeau à paître et on le voit sur le bord d’un fossé adossé à un arbre, gardant un œil sur ses chèvres surveillées par le chien.
Deux audiences au tribunal nous apprennent l’identité du chevrier, moulinois par intermittence. Il s’agit de Bernard Doumec poursuivi au moins deux fois pour défaut de mesure dûment poinçonnée. Défendu par maître Blandin en juillet 1896, il est acquitté en vertu d’un doute dans l’esprit du tribunal sur sa bonne foi. En effet, les clients fournissent eux-mêmes leur récipient. En mai 1901, maître Bonneton l’assiste après un PV établi en mars par le vérificateur des poids et mesures pour détention d’une mesure n’ayant pas la capacité légale. Il reçoit une amende de 16 francs avec sursis.
Montagnes Pyrénées,
Vous êtes mes amours…
Louis Delallier
* Dans les années 1870, les Pyrénées souffrent de surpopulation. De plus, la tradition dans les familles béarnaises veut que seul l’aîné reprenne le bien familial. Le cadet n’a comme alternative que de devenir le domestique de son frère ou partir. La chèvre béarnaise ayant fait ses preuves de bonne laitière et de bonne marcheuse, il ne lui reste qu’à prendre la route et aller gagner sa vie ailleurs avec ses chèvres nourricières.