Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le grenier de mon Moulins

Histoire de Moulins (Allier) et anecdotes anciennes

Moulins, la vengeance est un plat qui se mange froid

Publié le 19 Mai 2024 par Louisdelallier in Faits divers

La ballade du vitriolé de Théophile Steinlen 1893 - source Gallica-BNF

La ballade du vitriolé de Théophile Steinlen 1893 - source Gallica-BNF

Mercredi 23 mars 1881, au tribunal correctionnel de Moulins, est jugée une affaire de vitriolage* concernant un notable moulinois, Lucien Bruel, dont la presse nationale s’est largement fait l’écho. Ce triste fait divers vient prendre place dans la déjà  longue série d’agressions terrifiantes à l’acide sulfurique de cette fin de siècle.

Deux jeunes femmes comparaissent. Ce sont les sœurs Jeanne et Victoire Jacob, respectivement 28 et 32 ans. Jeanne, transportée depuis l’hôpital Saint-Joseph, a très mauvaise mine. Victoire, quant à elle, se présente le front haut. Elle est lingère.

L’évènement qui les amène ici s’est déroulé le samedi 4 décembre précédent, vers 18 heures, au domicile de Lucien Bruel, rue des Six-Frères à Moulins. Monsieur Bruel est sur le point de sortir quand la sonnette retentit. Il ouvre donc lui-même la porte d’entrée et reçoit immédiatement une importante quantité de vitriol. Entendant des cris, Madame mère accourt et glisse dans le liquide se trouvant sur le sol. Ses vêtements sont brulés, toutefois moins que le visage de Lucien dont un des yeux sera perdu. Il ne réfléchit pas longtemps avant de nommer les filles Jacob comme très probables responsables. Pendant leur interrogatoire, Jeanne reconnaît les faits et affirme avoir agi seule. Sa faiblesse physique instille le doute sur ses capacités d’action.

Son histoire, ordinaire, a commencé en janvier 1873 par une relation amoureuse avec L. Bruel. Ce dernier, soupçonnant au fil du temps qu’il n’était pas unique dans le cœur de sa maîtresse, décide de mettre fin à leur liaison. Nous sommes en 1878. Jeanne exige de l’argent pour mener à bien une grossesse qui semble arriver à point nommé. M. Bruel ne se laisse pas impressionner et persiste dans son intention de rompre.  

Maître Monanges plaide, rapporte-t-on, avec tact et modération, sans chercher à présenter les deux jeunes femmes comme des modèles de vertu. Son axe de défense porte ses fruits car Victoire est innocentée grâce à son alibi et Jeanne condamnée à, seulement, un an de prison ferme, même si elle n’exprime aucun regret et affirme la volonté de recommencer si elle le pouvait… A la sortie de l’audience, une partie de l’assistance, dont une « foule de femmes de bas étage », si elle n’excusait pas le geste criminel, déplorait le relâchement des mœurs qui mène à de dangereux actes vengeurs.

Une fois n’ayant pas suffi, le dimanche 1er février 1885, vers 19h 30, une Jeanne élégamment vêtue, venue de Paris, se rend chez Lucien et demande à le voir au domestique venu lui ouvrir. Elle est aussitôt reconnue par le maître de maison qui fait appeler la police après l’avoir enfermée dans une pièce. On découvre sur elle un revolver chargé de six balles destinées à finir le travail. Elle assure haut et fort que la prochaine fois sera la bonne.

Elle n’en aura plus l’occasion car Lucien Bruel meurt le 22 mars 1886 sans son intervention puisqu’il a vu sa santé décliner sérieusement au point de rencontrer son notaire six jours plus tôt pour instituer sa mère comme légataire universelle.

 

Louis Delallier

 

*Ce compte-rendu publié par le Messager de l’Allier diffère de celui du journal Le Français du 16 avril 1881 où l’on apprend que Victorine Jacob (et pas Jeanne) aurait accouché de jumeaux mort-nés et aurait déclenché une maladie incurable. Vivant dans la misère, elle aurait demandé en vain secours à Lucien Bruel avant de décider de se « venger avant de mourir ». Le Gaulois du 1er avril 1881 ajoute que Victoire Jacob s’est écrié « il a moins souffert que moi » lorsque le substitut du procureur a décrit les souffrances de Lucien Bruel.

Commenter cet article