Mercredi 8 mai 1946, un lecteur suggère au quotidien Valmy de s’adresser à la municipalité pour demander un bon coup de pinceau sur les cadrans de Jacquemart dont le blanc n’est plus qu’un souvenir. Il ajoute que deux couches de ripolin pourraient avantageusement être complétées par de la dorure sur les aiguilles et les pourtours des cadrans pour un effet plus digne de Moulins-la-Belle. Cette interpellation anodine n’aura hélas plus d’objet le soir du dimanche 12 mai.
Ce jour-là, se déroule la première commémoration de l’armistice avec défilé solennel entre la place de l’Hôtel-de-Ville et le monument aux morts du jardin de la gare. Le cortège réunit quantité d’unions anciens combattants, de blessés, de résistants, d’anciens prisonniers de guerre, de secours, de syndicalistes en présence de très nombreuses personnalités civiles, militaires, religieuses, médicales, d’enfants des écoles publiques et privées accompagnés de leurs enseignants et avec la Lyre moulinoise, fidèle entre les fidèles. Des mamans et leurs enfants déposent de petits bouquets près du monument à côté des gerbes officielles. L’émotion est très forte car les presque six années de guerre ont multiplié les drames.
Néanmoins, la population a aussi besoin de se détendre, de retrouver les plaisirs simples de la fête. Elle assiste de bon cœur à la course de côte à Bellevue sur la route de Souvigny et à la retraite aux flambeaux organisée par les pompiers, tout comme elle participe avec entrain au bal populaire place d’Allier après 22 heures. Moulins profite de l’instant présent jusqu’à l’annonce inconcevable de l’incendie en cours.
Il est 23h 57 quand on apprend qu’un des feux de Bengale mal éteint en haut de Jacquemart a mis le feu à un drapeau avant d’embraser les boiseries tout proches. Le vent attise les flammes, des poutres flambantes tombent sur les maisons voisines. Malgré leur réactivité, les pompiers, pas équipés pour lancer l’eau à une si grande hauteur, ne parviennent qu’à limiter les dégâts dans la partie inférieure. Les feuilles de plomb qui recouvrent les automates fondent. L’horloge sonne une dernière fois à minuit et demie. A une heure moins dix, la cloche Marie-Anne se décroche et s’écrase dans la rue. Les curieux arrivés de toute part doivent être retenus à distance par les gardiens de la paix.
Le lendemain, on découvre avec effroi l’apparence lamentable du monument. On se lamente, on se désespère. Jamais on ne pourra retrouver le Jacquemart élégant et vénérable qu’on connaissait. Les dommages sont trop importants. Et en même temps, les supputations vont bon train : accident, acte criminel (l’accident stupide sera bien confirmé) ? Les émotions s’additionnent.
Mais ce temps de la stupeur et des doutes passé, les choses ne tardent pas à être prises en main en vue de la restauration du beffroi, malgré son ampleur. Une souscription est lancée. Marcel Génermont, architecte des Bâtiments de France à Moulins, coordonne les longs travaux. La partie mécanique de l’horloge revient à la maison Ungerer de Strasbourg, experte en la matière**. En attendant, la sirène de Saint-Pierre suppléera Jacquemart pendant à midi et à 18 heures à partir du 17 juin, chaque jour.
C’est le lundi 6 septembre 1948, jour anniversaire de la libération de Moulins, sous une pluie fine que Moulins retrouve enfin ses habitudes. A 16 h 03, Jacquemart, orné d’un ruban tricolore, sonne pendant 10 minutes sans s’interrompre comme pour rassurer les habitants.
Louis Delallier
*Son premier incendie remonte à la nuit du 20 au 21 novembre 1655
**Voir mon article sur Frédéric Klinghammer, horloger.