Octobre 1836, le roi Charles X règne, pour peu de temps encore. A Moulins, le tribunal de police correctionnelle traite consciencieusement les affaires qui lui sont soumises. Le 21, aucun commerçant adepte des balances faussées n’est sur la sellette. C’est en effet une routine lassante que d’infliger aux boulangers, bouchers et autres épiciers des amendes qui ne les empêchent pas de céder à nouveau à la tentation de la tromperie. Non, ce jour-là, se présente une occasion de se divertir comme au théâtre.
Mesdames Desternes et Favier sont boulangères à Moulins. Les magasins de leurs époux se font face, alors elles se connaissent bien. Madame Desternes élève à l’arrière de sa maison des poules et un splendide coq dont elle prend grand soin. Un jour, le volatile tant choyé disparaît. Mme Desternes, désespérée, fouille le jardin et même son logis, car on ne sait jamais. Mais elle doit se rendre à l’évidence, il reste définitivement introuvable. Peut-être un de ces animaux friands de volaille est-il passé par là.
Dix-huit mois passent ; Mme Desternes semble remise de cette perte incommensurable jusqu’à ce qu’une voisine trop bavarde ravive ce souvenir pénible. Elle affirme que le coq est bien vivant et s’ébat chez les Favier, juste de l’autre côté de la rue. D’autres commères confirment l’avoir elles aussi reconnu. Les Desternes appellent le commissaire de police à la rescousse, lequel demande aux deux parties d’exposer leurs arguments en présence du coq. Leurs explications trop développées, et probablement confusément exprimées tant la colère est grande, le conduise à déposer le sujet de la discorde entre les deux propriétés. Le « sujet », qui n’a plus qu’à choisir son camp, se dirige vers la basse-cour de Mme Desternes, la plaignante, rassérénée.
L’affaire aurait dû s’en trouver réglée si Mlle Favier n’avait pas usé de subterfuge en jetant du grain pour attirer la pauvre bête qui va et vient pour se régaler au maximum, au-dessus de ces différends humains. Mlle Favier, toujours insatisfaite, et bien impitoyable, le blesse au cou avec un couteau et commence à plumer un coq pas mort qui s’égosille de terreur et de douleur. Les Eavier accourent pour prêter main-forte à leur fille sous les invectives des Desternes ulcérés. Tailladé, tiraillé, celui qui fut le roi du poulailler trépasse entre les mains de sa propriétaire légitime. On en vient aux coups et finalement au tribunal qui condamne la famille Favier à 200 francs d’amende.
Louis Delallier